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CALCUL DES CHANCES

PHILOSOPHIE

LA BOURSE

Paris.— Impr. Pilloy, boulevard Pigale, 50.

CALCUL DES CHANGES

ET

PHILOSOPHIE

DE

LA BOURSE

Jules REGNAULT

O quam bonus et suavis est, Domine, spiriiiis tuus

in omnibus! omnia in mensurâ, et numéro et

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INTRODUCTION

La Bourse est le temple de la société moderne : c'est que sont destinés à venir converg-er tous les grands inté- rêts d'un siècle éminemment positif et industriel ; mais la Bourse est aussi le sanctuaire officiel du jeu, et c'est que viennent s'engloutir des fortunes et des existences. Nous croyons rendre service à la société tout entière en essayant d'en analyser les cliances, démontrer les dangers du jeu, en même temps que découvrir le but que doit se proposer la Spéculation.

La morale, sous toutes ses formes, n'a pas manqué, jusqu'à présent, pour attaquer les abus de la spéculation et essayer de les corriger ; mais la morale, pour persuader, doit apporter la conviction. L'iiomme, esclave de ses passions, indifférent à tout ce qui ne le touche pas, n'est porté au bien ou au mal qu'en raison même de son inté- rêt ; ce n'est point par des déclamations abstraites et oiseuses, des mots vides de sens qu'on peut espérer de

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réformer ses mauvais instincts ; les vérités qui forcent la conviction doivent être évidentes, irréfutables.

Ne vaut-il pas mieux démontrer au joueur comment le cours naturel des choses veut qu'il soit inévitablement ruiné à tel jour donné, que de lui faire sentir que s'il s'enrichit, ce ne peut être qu'en dépouillant son sem- blable?

Or, cette vérité peut lui être prouvée, parce qu'elle peut être prévue. Rien dans la nature n'est disposé arbitraire- ment et n'arrive qui n'ait été préparé par quelque cause antérieure, que nous la connaissions ou ne la connaissions pas. Si nous étions bien pénétrés de cette vérité si simple, nous nous laisserions moins séduire par le merveilleux, nous sacrifierions moins à l'imprévu et à ce que nous sommes convenus d'appeler le hasard. Il n'y a point de hasard, mais il y a notre ignorance qui en tient lieu ; (') c'est l'ignorance qui, en nous faisant méconnaître la liaison nécessaire de tous les effets, berce nos illusions et nos erreurs, est la cause première de tous nos débordements, de toutes nos passions, de tous nos malheurs.

Il est très- vrai que nous ne pouvons jamais arriver k la connaissance entière de toutes les causes, et que la plu- part nous échappent dans l'estimation d'un fait; mais s'il n'y a que peu ou point de prévision à avoir quand il s'agit d'un fait isolé, il y a souvent une certitude à peu près complète pour ou contre, quand il s'agit d'un en- semble de faits, et les limites du doute, entre lesquelles

(') rhough ihere be no stich thing m chance in the world, our igno- rance of the real cause of anp cocnt lias the same influence on the understan ding . (Ho me) .

peut varier notre appréciation ou la quantité d'erreur qui peut l'affecter, tend à diminuer dans des rapports assignables avec l'augmentation des faits, parce que les causes particulières qui ag-issent sur chaque fait isolé- ment s'annulent dans un grand nombre pour ne laisser ressortir que les lois générales; c'est ainsi qu'on ne peut nullement prédire avec quelque certitude, même en con- naissant sa constitution, 1 âge auquel une personne doit mourir, tandis que sur un grand nombre de personnes, on peut dire, à très-peu près, combien atteindront ou n'atteindront pas à un âge donné.

Bien fin celui qui, à la Bourse, en voyant s'engager une opération, pourrait prédire si elle rapportera du bé- néfice ou de la perte ; mais il n'est pas besoin d'être devin pour prédire ce qui doit arriver dans une suite continuelle d'opérations.

Les événements particuliers peuvent tromper nos pré- visions, mais il faut savoir s'élever au-dessus de la con- sidération de ces événements pour ne voir que l'ensemble des résultats derniers, qui ne peuvent jamais tromper. C'est à J. Bernoulli que l'on doit la démonstration de ce beau théorème qu'il considérait avec raison plus impor- tant et plus utile que la découverte de la quadrature du cercle.

« En multipliant indéfiniment les observations et les expériences, le rapport des événements de diverses natures qui doivent arriver, approche de celui de leurs possibilités respectives dans des limites dont l'intervalle se resserre de plus en plus et devient moindre qu'aucune quantité assignable. »

C'est un pliénomène bien remarquable de voir les événements qui semblent le plus dépendre de causes in- connues, inappréciables, présenter, en se multipliant et se combinant à l'infini sous nos yeux, une tendance à se rapprocher de rapports fixes, déterminables, dételle sorte que si l'on conçoit de part et d'autre de chacun de ces rapports un intervalle aussi petit que l'on veut, la proba- bilité que le résultat moyen des observations tombe dans cet intervalle, finit par ne différer de la certitude que d'une quantité au-dessous de toute grandeur voulue.

Tous les nombres présentés par la tliéorie des probabi- lités ne présentent jamais qu'un état final, oscillent dans une suite de vibrations continuelles autour de l'état natu- rel, eu diminuantprogTessivementcesvibrations à mesure qu'ils s'étendent autour d'un plus grand nombre de faits, et deviennent rigoureusement exacts dès qu'on en sup- pose le nombre infiniment g-rand. Nous saurions donc l'avenir, si nous avions l'expérience de l'Infini.

C'est cette idée de l'Infini, finalement évoquée, qui fait que toute théorie mathématique est nécessairement mo- rale et philosophique, et que, pour en comprendre la vé- ritable portée, il faut se dégager des influences spéciales, des considérations mesquines ou passagères.

Toute la science des hasards se réduit en dernier lieu à déterminer d'une manière générale tous les événements du même genre, à les grouper et réduire en un certain nombre limité de faits, d'événements distincts parfaite- ments définis, tous également possibles. Etchaquegroupe d'événements du même genre étant nettement circonscrit, il reste à déterminer soit par la nature de leur production,

soit par l'appréciation attentive des faits accomplis anté- rieurement dans chaque ordre d'événements, le nombre des chances favorables ou contraires à la venue de cha- cun.

Une fois que tous ces rapports sont bien établis, que par une analyse exacte on a déterminé le nomlre des chances de chacun des événements possibles, le dernier mot de la science humaine est prononcé, et il n'y a rien de plus à apprendre. La nature se charge d'ag-ir et de démontrer irrémissiblement par ses effets l'exactitude de ces rapports.

Beaucoup d'esprits d'ailleurs très-éclairés, s'indignent qu'on ose faire entrer le calcul dans des questions qu'on peut considérer de l'ordre moral ; mais le monde moral ne se gouverne pas par d'autres lois que le monde physique : toutes nos volontés, toutes nos déterminations, toutes nos entreprises, ne se dirigent pas au hasard, mais ne sont basées que sur une énumération des chances favo- rables ou défavorables, car tous nous aspirons au bon- heur et à la réussite, etpour cela nous ne pouvons jamais nous décider que sur des probabilités, mais comme nous ne sommes pas tous ég-alement instruits, nous suivons chacun des routes différentes, et le vice est la route de l'erreur, malheureusement trop fréquentée. Le calcul ne peut rien indiquer que l'homme raisonnable ne sache déjà, mais c'est parce que le bon sens et la réflexion ne suffisent pas toujours à énumérer exactement toutes les chances possibles, que le calcul est quelquefois nécessaire. N'est-il pas vrai que si on disait : « Voici une urne qui contient une boule blanche et cent boules noires, vous allez en retirer une, si elle est blanche, vous doublerez

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votre fortune, mais si elle est noire, vous serez ruiné ; n'est-il pas vrai qu'il n'y aurait pas au monde un seul homme, à moins de le supposer complètement fou, qui voulût d'une telle convention? Eh bien ! nous démontrons d'une manière irréfutable , que dans la plupart des conditions du jeu à la Bourse, l'urne du sort, pour une boule blanche, renferme plus de cent milliards de boules noires.

Quelques mots sur la division de l'ouvrage. Nous l'a- vons divisé en deux parties et subdivisé en paragraphes. Dans la première partie, nous ne nous occupons que du Jeu. Nous cherchons quels sont les motifs qui, en faisant croire à l'arrivée d'un événement plutôt que d'un autre, donne au joueur une conviction pour la hausse ou pour la baisse, et nous cherchons si cette conviction est fondée.

Nous démontrons ensuite que le droit de courtage étant, sinon la seule , du moins la principale et la seule cause appréciable de l'inégalité des chances, peut aug-menter indéfiniment le désavantage du joueur et la certitude de sa ruine, et que d'après la connaissance de certains élé- ments, il est possible de mesurer à tout instant l'augmen- tation ou la diminution des chances défavorables au joueur.

Dans la seconde partie , nous commençons par établir une distinction entre les deux spéculations, la fausse re- présentée par le Jeu, la véritable représentée par le Ca- pital, qui n'est autre chose qu'une accumulation des fruits du Travail ; nous indiquons les tendances de chacune , et après avoir établi que, s'il n'y a pas de prix absolu, le prix relatif des valeurs peut cependant être resserré dans

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des limites do plus en plus étroites, nous donnons les règles de la véritable spéculation.

Par la Théorie des Ecarts, les lois nouvelles des varia- tions de la Bourse sont enlîn fixées, et il devient évident que les lois du monde social ne sont ni plus difficiles, ni plus compliquées que celle du monde céleste. Tout dans la nature est soumis à des lois communes, générales et immuables, en dehors desquelles aucune chose, aucun phénomène ne pourrait se produire ou se maintenir, et les lois les plus générales sont aussi les plus simples.

« Tous les événements, dit Laplace au début de son Essai pJbilosopJdq^ue, ceux mêmes qui, parleur petitesse, semblent ne pas tenir aux grandes lois de la nature en sont une suite aussi nécessaire que les révolutions du So- leil. Dans l'ignorance des liens qui les unissent au sys- tème entier de l'univers, on les a fait dépendre des cau- ses finales ou du hasard, suivant qu'ils arrivaient et se succédaient avec régularité ou sans ordre apparent ; mais ces causes imaginaires ont été successivement reculées avec les bornes de nos connaissances et disparaissent en- tièrement devant la saine philosophie, qui ne voit en elle que l'expression de l'ignorance nous sommes des vé- ritables causes. »

Les variations de la Bourse, tout aussi bien que la Terre dans la courbe qu'elle décrit autour du Soleil, sont sou- mises aux lois de l'attraction universelle; dans certaines conditions, le capitaliste peut être assuré de réaliser des bénéfices proportionnels avec autant de certitude qu'il attend le retour régulier des saisons.

Toutes ces idées, qui un jour paraîtront si simples, peu-

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vent passer pour de Ici hardiesse aujourd'hui ; espérons cependant que nous aurons convaincu le lecteur attentif. Puisse ce livre, malgré ses imperfections, répondre à l'idée qui l'a conçu et servir utilement le ]iarti de la vérité.

PREMIÈRE PARTIE

l'UEMlÈUE PARTIE

1 . Toutes les causes qui concoureut h la formation d'un événement quelconque, se partagent en deux grandes catégories : constantes et accidentelles.

Les causes constantes sont celles dont l'action est continue et régulière, dirigée dans un même sens et avec une intensité toujours égale.

On comprend, sous le nom de causes accidentelles, toutes celles dont l'action n'est ni continue ni régulière, qui se produisent sans aucune loi apparente, et fortuite- ment, dans un sens ou dans l'autre.

Par rapport à l'éloignement qui sépare la cause de l'effet et qui lui donne plus ou moins de force pour agir, on peut encore diviser chacune de ces deux catégories en deux nouvelles : causes générales et spéciales.

Les causes générales, comme étant les plus nombreuses et les plus variées, seront aussi les moins importantes,

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tandis (jue les causes spéciales auront une influence plus directe et plus immédiate.

En exprimant par les chiffres 1 et 2 le degré de puis- sance de chacune de ces espèces de causes pour concourir à un moment donné à la production d'un effet ou d'un événement quelconque, de manière à avoir :

Pour les causes constantes 1

id. accidentelles .... 2

id. générales 1

id. spéciales 2

on pourra former, par la combinaison des diverses causes possibles, les quatre produits suivants :

Causes constantes et générales. ... 1 id. spéciales. ... 2

accidentelles et générales, ... 2 id. spéciales. ... 4

On arriverait à un plus grand degré de précision sur la relation que les diverses causes ont entre elles, si on formait de nouvelles catégories intermédiaires, telles que causes variables, dont l'arrivée est au moins irrégulière, mais dont la durée possède une certaine constcxnce ; causes 'particulières prises dans un ordre de faits secondaire, et n'ayant qu'un demi-caractère de généralité; mais la clas- sification précédente nous donne cependant dès à 2)ré- sent une idée suffisante de la force des causes et du rap- port qu'elles ont entre elles.

2. Si je jette un sou en l'air, je sais que la cause qui le fera retomber de préférence sur l'une des deux faces est,

avant V événement^ exprimée par -; si je jette un sur une table, je sais que la cause qui doit amener l'as, aune valeur de -; cette probabilité est certaine, évidente, et personne n'essaiera de la contester ; mais les chances d'un événement ne sont pas toujours en nombre déterminé et assignables a po^ioTi; et, dans tous les cas, cette connaissance fait défaut par la nature même des choses, on est forcé de s'en rapporter à V observation des èténe- mcnts passés.

Il existe certaines règles qui déterminent exactement le deg'ré de confiance que l'on doit ajouter aux observations, lorsque celles-ci ont un même poids ou sont également bien faites ; bornons-nous à énoncer les suivantes ;

1" Lorsqu'on a observé un événement qui s'est réguliè- rement produit un certain nombre de fois, la probabilité qu'il se reproduira une nouvelle fois peut être exprimée par une fraction dont le numérateur est le nombre des observations, augmenté d'une unité, et le dénominateur, ce même nombre, aug-menté de deux unités.

Si, par exemple, j'avais retiré successivement dix boules blanches d'une urne remplie d'un grand nombre de boules dont j'ignorerais la couleur, je pourrais parier J|, ou 11 contre 1, que je retirerai encore une boule blan- che la prochaine fois.

Si les événements observés sont contradictoires, il faut, pour obtenir la possibilité du retour de chacun de ces événements, prendre le nombre de fois que chacun d'eux a été observé, ajouter une unité et diviser par le nombre des observations totales, augmenté d'autant d'unités qu'il V a d'événements différents.

Si, par exemple, j'avais retiré de l'anic dix boules blanches et trois noires, l'arrivée d'une boule bl;tnclie au prochain tirage aurait une probabilité de -^ et celle d'une boule noire, -.

Za probaHIilé d'un événement futur est la somme des produits de la prolaWité de cliaque cause, tirée de révénement observé, par la probabilité que cette cause existant^ V événement futur aura lieu.

Exemple : On nous apprend que l'urne qui jusqu'à pré- sent renfermait un nombre de boules indéterminé et supposé très-g-rand, n'en renferme que trois ; nous tirons successivement, et en les remettant chaque fois, trois boules qui se sont trouvées blanches, que devons-nous penser d'un nouveau tirage ?

Il y a trois causes h l'événement observé :

Toutes les boules sont blanches.

2^ Il y en a deux blanches et une noire.

S^ Il j en a une blanche et deux noires.

La probabilité de chaque cause, tirée de l'événement observé, est ég'ale à

I ou la certitude pour la première. '- ou |j pour la seconde.

q-. ou ^ pour la troisième.

C'est-à-dire qu'elles sont dans le rapport des nombres 27, 8 et 1, et que l'ensemble de ces trois causes étant égal à la certitude, la probabilité de la première est -, de la seconde -, de la troisième i.

36 36

II s'agit de multiplier chacune de ces dernières valeurs par la probabilité que la cause existant, l'événement futur aura lieu.

15

Or, si la première cause existe, l'événement est cer- tain. ?-^ X 1 - - ou ^.

36 36 1(18

Si la seconde existe, l'événement a la probabilité

36 '^ 3 11 8

Si la troisième cause existe, l'événement a la proba- bilité. 1 X ' = -.

36 ^3 108

Faisant la somme de ces trois produits, -, nous

1 . 98 49

obtenons ou -.

108 5*

Il y aurait donc 49 à parier contre 5 qu'on retirera en- core une boule blanche au prochain tirag-e.

3. A la Bourse, tous les événements possibles ne peuvent déterminer que deux effets contradictoires qui sont la /musse et la baisse.

La meilleure manière de calculer les chances de la hausse ou de la baisse qui doit résulter d'une situation donnée, serait de dégager convenablement les causes in- dépendantes les unes des autres, de les classer suivant leur degré présumé d'influence, et d'après une méthode d'observations antérieures bien précises, d'assig'uer à cha- cune le degré de probabilité de son arrivée, ainsi que ce- lui de son effet présumé : en faisant le produit de ces deux probabilités, on obtiendrait la valeur de la hausse ou de la baisse probable.

Prenons un exemple que nous ferons le plus simple et le plus dégagé possible :

Je vois dans la situation présente les deux causes sui- vantes, de nature à influer sur le cours des actions d'une compagnie industrielle quelconque :

Ifi

P La Banque réduit son escompte.

2" Il est question d'une concession à obtenir par la sus- dite compag-nie.

Je n'hésite pas à envisager ces deux causes comme fa- vorables, parce que dans toutes les circonstances il m'a été permis d'observer par moi-même ou par le témoi- gnage d'autrui, des causes de cette nature ont toujours produit un effet favorable.

Comme on le voit, je commence par tout rapporter à V observation, le raisonnement ne pouvant jamais indiquer en dernier ressort que des effets qui sont toujours présen- tés par une observation quelconque, si simples que soient ces effets ; quelquefois un événement se produit si rare- ment, qu'il n'a été donné de l'observer qu'une ou deux fois peut-être, mais si ses effets ont été considérables, ils ont laissé des souvenirs beaucoup plus vivaces, et son ar- rivée une nouvelle fois, ne laisse pas plus de doute à l'es- prit que d'autres événements beaucoup plus souvent ré- pétés.

J'ai eu de plus, relativement à la première cause, l'oc- casion d'observer que chaque fois que la Banque rédui- sait son escompte, l'effet produit était en moyenne une hausse de 10 fr, sur la valeur.

Or, cette cause, réduction de l'escompte par la Banque, est, de sa nature, une de celles que nous devons classer dans la catégorie des causes accidentelles et générales ; la seconde peut être regardée aussi comme accidentelle, mais spéciale; je pourrais donc, rien que par le rapport qui les unit, même sans savoir au juste l'effet qu'elle a pro- duit, conclure que la seconde doit amener un effet supé-

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rieur, du double, ainsi que nous l'avons établi en com- mençant, et produire une hausse probable de 20 fr.

Mais pour la première cause, la probabilité d'arrivée est remplacée par la certitude; pour la seconde, la de- mande de concession est, je suppose, soumissionnée con- curremment par une compagnie rivale, et il est douteux qui obtiendra l'adjudication, des deux compagnies péti- tionnaires; ici, la probabilité d'arrivée est-.

Si cbacun de ces deux faits, réduction de l'escompte, augmentation de concession, a été observé par exemple, dans trois occasions à peu près identiques, la probabilité

d'effet est de - pour chacune.

5 '■

J'aurai donc :

10 X - ^ 8 pour la hausse probable résultant de la première cause;

20 X - X - =" 8 pour la hausse probable résultant de la seconde cause,

et je serai fondé à attendre une hausse de 16 fr. comme résultat des deux causes précitées.

Qu'il y ait maintenant dans la situation une cause dé- favorable quelconque, je lui attribuerai son degré d'im- portance, ses probabilités d'arrivée et d'effet, j'obtiendrai son produit probable et je le ferai venir en déduction du produit précédent.

4. Mais pour arriver à une détermination si nette et si précise, il aura fallu :

Etudier attentivement toutes les causes qui peuvent avoir quelque influence, les classer méthodiquement pour

-^ 18 -

ne pas donner à l'une yur l'autre une importance qu'elle n'aurait pas, et pour cela, nous avons di\ les considérer séparément, une à une, par rapport à leur durée et la manière dont elle se manifestent, et par rapport à l'action qu'elles peuvent produire pour amener l'effet attendu.

2" Examiner la probabilité de l'arrivée de chacune des causes, en remontant à des causes premières ou anté- rieures, recueillant l'ensemble des faits qui doivent les amener et en nous décidant sur le plus ou moins de chances qu'elles ont de se présenter.

3" Examiner la probabilité de l'effet qu'elles produiront, en recueillant dans nos souvenirs et nos observations les effets produits par les mêmes causes, et calculer d'après cela le degré de probabilité d'un nouvel effet.

Tous nos calculs ne peuvent avoir d'autre base que V observation personnelle.

Mais nous pouvons avoir donné une importance exa- g'érée à une cause dont la valeur est presque nulle, avoir négligé une autre cause dont la valeur est considérable, avoir faussé le rapport des causes ou mal jugé des eft'ets, prenant un effet favorable pour défavorable, et tice Ter sa; les avoir observées précédemment un trop petit nombre de fois pour être bien édifié sur les effets qu'elles ont pro- duits, avoir négligé de décomposer ou de faire entrer dans les éléments de l'effet que nous leur avons supposé toute autre cause qui y aurait également concouru ou l'aurait modifié ; enfin, nous pouvons n'être que très-im- parfaitement renseignés sur la nature des événements et des causes primitives, et par suite sur le degré de prob.-i- bililé de l'arrivée même de la cause.

I'.)

On peut jug'tii' de la diftieulté dont sont entourées des estimations aussi multiples, aussi délicates, qui ne repo- sent absolument que sur une certaine similitude des événements, qui en réalité ne se représentent jamais deux fois de suite dans les mêmes conditions, et dont l'observa- tion est toujours plus ou moins bornée; il nous faut assi- miler complètement des causes, du moment qu'elles sont à peu près pareilles, et présag*er des effets semblables, lorsque les différences ne sont pas très-choquantes, bien qu'une différence imperceptible et insensible doive amener par sa répétition une erreur notable sur le résultat du calcul.

A moins d'être doués d'un jugement supérieur que ne comporte pas la nature humaine, il est impossible que par sentiment ou par préjugé, nous n'ayons point exagéré les probabilités des chances favorables ou celles des chances contraires.

5. Le joueur qui se lance dans une opération quelcon- que, à la hausse ou à la baisse, n'a pas pris la peine d'ana- lyser préalablement et aussi minutieusement les diverses probabilités ^o?^r et contre ; au lieu de commencer par ob- server, comparer et calculer mathématiquement pour décider alors en toute connaissance de cause dans quel sens il doit tourner et diriger son opération, il obéit et se laisse guider purement par son instinct; s'il apprécie les faits, il les commente plutôt et les explique dans le sens qu'il a d'abord adopté; si cependant, changeant de mé- thode, il remontait des effets supposés aux causes, comme

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son appréciation serait entièrement relative et se modifie- rait selon ses vues, en se moulant en quelque sorte sur elles, il arriverait très-certainement à des estimations de probabilités qui ne changeraient nullement sa manière d'agir, et ne feraient que l'affirmer avec une nouvelle force : arrivant tous les deux au même résultat, il n'y aurait cette différence entre le matliématicien et le joueur, que le premier aurait soumis ses opérations au calcul, et le second, ses calculs à ses opérations.

Laquelle de ces deux méthodes est la plus exacte? Nous ne le savons pas, car enfin, si l'un s'est servi de l'analyse, en allant du connu à l'inconnu, et l'autre de la synthèse, en suivant une marche directement opposée, la voie des sensations et des impressions, qui est la même pour tous deux, et peut seule, en définitive, fournir des éléments d'appréciation, amène leur rencontre au même point; mais, et ceci est la conséquence, si le joueur n'explique pas par des chiffres le- degré de probabilité qu'il attribue aux événements, ces probabilités n'en existent pas moins d'une manière très-réelle pour lui, et il peut discuter avec une égale raison des causes et des effets, et des chances plus ou moins probables de leur arrivée.

Non-seulement il n'est pas un seul spéculateur qui, sans toujours s'en rendre un cxDmpte exact, n'ait une opinion plus ou moins nette au sujet des probabilités qu'il accorde à tel ou tel événement, mais il n'en est peut-être pas deux sur mille qui aient une même opinion sur l'ensemble des causes et de leurs effets.

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0. Si les hommes sont si éloignés de s'entendre sur les sujets mêmes qu'il leur importerait le plus de bien con- naître, c'est parce que chacun donne aux mots dont il se sert dans le discours une signification particulière qui comprend un certain nombre d'idées simples ou pre- mières, qui diffèrent d'autant plus que ces idées sont plus abstraites ou plus composées : le mot maison peut avoir une sig-nifîcation à peu près identique pour tous les ha- bitants d'une même 7ille ; il n'en est pas de même des mots droit ^ vertu, etc.

Dans l'estimation des causes et de leurs effets, chaque homme puisant les motifs de son jug-ement dans un en- semble d'observations personnelles, qui n'ont pas été les mêmes pour tous, trouve dans le résultat de ses recher- ches plus ou moins d'exemples et de raisons de croire ou ne pas croire à un même effet, d'après la quantité plus ou moins g-rande de faits analogues qu'il aura pu observer. Si deux personnes, qui se font une idée différente d'une même probabilité, avaient vécu dans un même milieu, dans des circonstances exactement pareilles, et avaient observé le même nombre de causes suivies des mêmes effets, il n'y aurait nécessairement aucune dissidence entre elles sur l'opinion qu'elles se font de l'arrivée ou futurition d'un événement, et la fraction qui exprime sa probabilité serait la même pour tous deux ; tandis que si, au contraire, dans une supposition plus conforme à la réalité, elles n'ont jamais vécu ensemble, sont d'âges, de pays, de classes différentes, elle auront observé des faits différents, en inégales quantités, suivis d'effets plus ou moins dissemblables; leur opinion variera dès lors sur la

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nature des causes et la probabilité des effets d'une ma- nière d'autant plus sensible que tontes ces circonstances antérieures seront elles-mêmes plus variables.

Les événements de nature à produire des variations de hausse ou de baisse à la Bourse sont tellement nombreux, dans des ordres si divers, et dépendent de causes si com- pliquées, qu'il n'est pas étonnant que les opinions les plus extrêmes puissent se produire au sujet de leurs effets probables.

C'est justement la diversité d'appréciation des mêmes causes, par chacun en particulier, qui rend les affaires possibles (au moins pour celles de jeu), en faisant que celui-ci opère dans un sens et celui-là dans le sens op- posé ; car si tout le monde avait les mêmes idées et ap- préciait ég'alement les mêmes causes, il n'y aurait plus de contreparties possibles, l'aclieteur ne trouverait plus de vendeur, ni le vendeur d'acheteur, et les variations seraient nulles par conséquent.

7, Pour voir comment agit cette diversité d'opinions, supposons qu'on annonce à l'instant un événement dont l'importance est décisive et favorable à la fois aux yeux de tout le monde, tel qu'une paix soudaine qui termine tout à coup une longue guerre ; personne ne songera à interpréter cet événement comme un signe de baisse, mais encore que de divergences d'opinions à ce sujet sur ses conséquences probables et sur l'étendue du mouve- ment de hausse qui doit se produire ! L'annonce de cette nouvelle élèvera les cours brusquement et sans transition

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à un niveau plus ou moins élevé, et après cetaines oscil- lations, conséquences nécessaires de la surprise et de l'in- décision, une fois que l'opinion se sera formée, que l'é- vénement sera bien jugé, les cours s'arrêteront à] une certaine limite et y prendront leur assiette ; cependant le cours ne représentera pas une valeur universellement adoptée. Tous ceux qui verront des résultats favorables moindres seront naturellement les vendeurs, tous ceux qui croiront à des résultats favorables supérieurs seront les acheteurs. Les quantités étant nécessairement égales, puisque toute vente suppose un achat et réciproquement, le cours sera l'expression moyenne de toutes les appré- ciations, si différentes qu'elles soient. Bien entendu que nous faisons abstraction des personnes et ne faisons en- trer en ligne de compte que les opérations mêmes ; toute demande ou toute offre n'agit qu'en raison proportion- nelle à sa quantité, et quand elle ne s'exprime pas, elle est nulle sur la détermination du prix.

Le cours n'est pas toujours uniquement déterminé par les circonstances présentes ; il comprend encore toutes les espérances légitimes qui peuvent être renfermées dans cette situation. Ainsi, le lendemain d'une guerre terminée par une paix soudaine, la richesse du pays n'est pas sen- siblement différente de ce qu'elle était la veille , mais la hausse qui se déclare sur-le-champ représente toutes les améliorations futures qui ne sont encore qu'en germe dans la situation. Les travaux repris, les impôts diminués, la dette amortie, la confiance rétablie, toutes ces consé- quences que l'on n'aperçoit encore qu'en perspective, agissent comme si elles étaient présentes et sont sur-le-

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champ escomptées^ selon le terme en usage à la Bourse.

Toutes les données dont chacun dispose sont ici les mêmes, il n'y a de différence que dans la manière de les interpréter. Que l'on fasse un pari avec une personne mal renseignée au sujet d'un fait sur lequel on n'a aucun doute, le bénéfice est certain. Mais en est-il de même à la Bourse ?

Voici cinq à six mille spéculateurs : chacun d'eux n'a d'autre passion que de gagner de l'argeoit, parce qu'à ses yeux, l'argent est le moyen le plus sûr de satisfaire toutes ses autres passions; toutes ses facultés sont absorbées vers ce but. Y a-t-il au monde un stimulant plus énergi- que pour arriver à la découverte de la vérité ?

Si les observations individuelles les plus étendues et les mieux étudiées sont nécessairement bornées, quelle pro- digieuse quantité d'observations qui se contrôlent et se complètent les unes par les autres dans un ensemble aussi imposant que celui d'une société tout entière qui surveille et dirige ces intérêts ?

On dit souvent : La Bourse est le thermomètre de l'opi- nion publique. Il y a quelque chose de trop général, car il n'y a personne qui n'ait une idée et une opinion quelconque au sujet des événements qui intéressent la société tout entière, et que de gens dont l'opinion est très- respectable n'ont jamais d'occasion de l'exprimer à la Bourse? N a-t-on pas vu souvent la Bourse aller au rebours de l'opinion publique ? Mais qu'il s'agisse d'appré- cier les conséquences plus ou moins favorables qu'un événement aura pour les intérêts matériels, alors quelle sagacité pour les deviner et les interpréter : si les cour

ont monté à l'annonce de la défaite de Waterloo, on ne croira jamais, en France, que la Bourse fût alors l'inter- prète de l'opinion publique; mais elle a toujours été et sera toujours en raison de l'importance de chacun des joueurs et spéculateurs, un thermomètre des plus sûrs de l'opinion du public qui la fréquente.

8. On peut se faire une idée juste de ce qui se passe dans le cas un événement quelconque est annoncé, en observant ce qui arriverait si un grand nombre de per- sonnes, placées à une certaine distance d'un édifice élevé dont elles ne pourraient approcher, étaient chargées de mesurer approximativement de l'œil la hauteur de la base au sommet. Entre autres propriétés remarquables four- nies par l'ensemble des observations, il est démontré :

P Qu'en additionnant toutes les évaluations obtenues, et en divisant par le nombre des observateurs, on aura une liauleur moyenne^ ne différant de la véritable hauteur que d'un écart moyen, qui sera d'autant moindre que le nombre des observations augmentera, et diminuera en raison de la racine carrée de cette augmentation.

2'' Les nombres donnés par chacun des observateurs ne se présenteront pas au hasard et sans ordre, mais se grou- peront, en vertu d'une certaine loi, de la manière la plus symétrique des deux côtés de la valeur moyenne ; si on divisait en parties ég'ales la distance qui s'étend de cette valeur aux termes extrêmes, la valeur numérique de cha- que groupe irait sans cesse en diminuant progressive- ment à mesure qu'on s'éloignerait de la valeur moyenne.

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Ces résultats sont bien faits pour étonner les personnes absolument étrangères à ces sortes de questions. Com- ment croire qu'un ordre quelconque puisse rég-ner parmi des éléments tous pris au liasard. Comme cette donnée a de l'importance, nous essayerons en quelques mots de faire -comprendre comment cet ordre peut exister.

Si une personne entreprend une série d'observations, une série de mesures, s'il s'agit de distances, qu'elle n'obéit à aucune idée systématique qui pourrait fausser tous les résultats dans un même sens, qu'il n'y a pas enfin de cause constante d'erreur dans sa manière d'opérer, et que toutes les observations ou les expériences sont égale- ment bien faites, chaque mesure, chaque appréciation, isolément, est susceptible d'une certaine erreur g^i phùS ou en moins. Or, dans un grand nombre de mesures, toutes les combinaisons de ces erreurs positives ou nég-atives se présentent en quantités bien inégales, eu égard au nom- bre de chacune. Pour prendre le cas le plus simple, s'il y a deux mesures, soit «, l'erreur positive, et 5, l'erreur négative, on aura les combinaisons suivantes également possibles : aa, ab^ la, II, et l'on voit qu'il y en a deux les erreurs se font compensation ; s'il y a trois mesures, on aura : (naa, aab, aba, laa, hla^ lai, all^ lll, et, sauf les deux combinaisons extrêmes, toutes les autres don- nent une compensation entre deux erreurs du sens opposé; on trouverait ainsi, en continuant, que les combinaisons les plus nombreuses sont toujours celles oi^i les erreurs positives et négatives se font équilibre ; de sorte que sur un grand nombre de chances croissant d'une manière géométrique avec le nombre des mesures, il n'y en aura

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jamais qu'une pour que tous les résultats soient faussés dans le sens de l'une ou de l'autre erreur exclusivement ; ce sont les coefficients dans le développement du binôme (<ï+^)'", « et ^ représentent les deux sortes d'erreurs, m le nombre des observations, qui indiquent le nombre des cliances de chaque combinaison.

Ce que l'on conçoit d'une personne mesurant cent fois, mille fois, la même distance, peut se comprendre de cent ou mille personnes qui mesureraient chacune ime fois avec les mêmes moyens, une distance, une hauteur, un édifice.

9. Muni des données précédentes, et n'ayant nul au- tre moyen de connaître au juste la hauteur de l'édifice ainsi mesuré, il serait complètement oiseux de se perdre à ce sujet en calculs ou en supputations arbitraires : nous ressemblerions à un homme qui, parce que le thermomè- tre ne donne pas une évaluation absolument vraie de la température, aimerait mieux s'en rapporter aux impres- sions présentes et passagères qu'il ressent du chaud et du froid, mille fois plus inconstantes et incertaines.

Si cependant, après que chacun a fait une estimation différente de la hauteur de l'édifice, ces divers observa- teurs étaient assez ignorants ou assez fous pour trouver matière à spéculation, n'est-il pas clair que, selon que chacun pariera pour ou contre une certaine hauteur, il s'établiera bientôt deux camps opposés, également nom- breux, que la hauteur moyenne qui formera la limite de l'appréciation de ces deux partis deviendra le sujet com-

inun du pari, pour ou contre, que chacun de ceux qui au- ront fait une estimation mc-dessous^ aura pour tenant un de ceux qui ont fait une estimation aii-dessus, et qu'on aura deux factions qui se distingueront par des noms dif- férents, tels que ceux de Caissiers et haussiers ?

Au milieu de tout cela, que fera l'iiomme sensé? Lui qui se sait sujet à l'erreur, se trouvera heureux d'avoir à sa disposition un moyen d'approcher de la vérité autant que possible, et reconnaîtra sans difficulté que l'appré- ciation sur laquelle roule tout le débat, est par la force et la nature même des choses, la plus approchante et la plus exacte qu'il puisse se procurer.

Au lieu d'une mesure phj^sique ou extérieure, on a dans l'estimation de tout événement, une mesure morale prise du sens intime : nous n'avons pas l'intention de dévelop- per ici cette idée que les rapports du physique et du mo- ral sont plus intimes qu'on ne croit (') : qu'il nous suffise d'indiquer que tous les événements de l'ordre moral, ceux même la libre volonté de l'homme joue le principal rôle, sont tout aussi bien prévus, déterminés d'avance dans de certaines limites par la statistique, que les évé- nements amenés par le destin le plus aveugle : dans la question présente, tous les phénomènes de l'ordre phy- sique se représentent, quoique plus difficiles à constater : qu'un événement futur et incertain d'où doit dépendre un fort mouvement dans les cours soit le produit de cent causes différentes, et que chaque observateur, au sujet de

(') Le moral n'est que le physique considéré sous certains points, de vue plus particîdicrs. (Cabanis).

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cliacune de ces causes sur l'événement puisse avoir à vo- lonté une opinion exacte ou fausse, bonne ou mauvaise, on peut être certain que la compensation se fera de la même manière que s'il s'ag-issait pour chacun de répéter cent fois une même opération mécanique ; si l'un amoin- drit les conséquences des faits, l'autre se plaît à les exa- gérer ; mais tandis que les appréciations les plus extrêmes sont aussi les plus rares, la masse jug-e avec plus de calme et de netteté ; quand nous accusons l'opinion publique, nous nous accusons nous-mêmes, car en définitive, sur- tout quand il s'agit d'intérêts matériels, le public est son meilleur juge.

Pourquoi donc consent-on volontiers à reconnaître son erreur dans certains cas, il s'agit d'une mesure physi- que, est-il au contraire si difficile de la reconnaître dans d'autres l'évaluation est toute mortile? C'est que cha- cun veut bien laisser mettre en question la justesse de son coup-d'œil, et que personne n'entend discuter sur la justesse de son esprit.

10. En achetant ou vendant dans l'espoir que les cours iront en s'élevantous'abaissant, le joueur entend par que les cours sont au-dessous ou au-dessus de leur véritable m- leur : car il faut pour le déterminer qu'il aperçoive dans la situation présente une cause de hausse ou de baisse dont il n'est pas tenu compte en ce moment. En vain préten- drait-il que ce n'est que dans des conséquences futures et lointaines qu'il voit ces motifs de hausse ou de baisse ; nous savons que ces conséquences, si elles existent, sont

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contenues dans le cours actuel ; or, si on réfléchit à ce que veut dire le mot taleur, on verra que la valeur est et ne peut être déterminée que par le cours même, qu'il ne peut donc y avoir deux sortes de valeurs, une véritable, et une qui ne le serait pas, que par conséquent cette opi- nion si souvent exprimée, que les cours sont au-dessus ou au-dessous de leur valeur n'a, le plus souvent, aucune si- gnification, et revient à cette autre proposition^ évidem- ment absurde, que ce qui est n'est pas.

Il faut cesser de ramener des faits qui ne nous trom- pent pas, à de pures hypothèses en dehors de la réalité, qui ne reposent que sur des impressions plus ou moins fugitives et décevantes.

Cependant, n'est-il pas possible que tout le monde se trompe en même temps? Mais alors prendre la mesure infaillible, le critérium qui décidera de l'erreur? Ne voit- un pas que si dans toute estimation physique, les causes d'erreur si nombreuses font qu'à vrai dire il n'existe au- cune mesure ahsolue, il en est encore bien moins dans une appréciation morale qui dépend d'une si grande quantité de causes physiques ?

Nous pouvons cependant admettre cette supposition comme possible. Dans l'exemple qui précède, nous avons pris un certain nombre d'observateurs au hasard, chez les- quels par conséquent il n'existe aucune prédisposition à l'erreur, tenant d'une cause constante et commune : ce- pendant l'expérience nous prouve que les mêmes objets peuvent nous paraître plus ou moins grands selon le point de vue nous nous plaçons ; ainsi un précipice profond ne nous donnera jamais une idée de distance égale à celle

M -

d'un édifice élevé, bien que l;i profondeur de l'un et la hauteurdel'autre comprennentle même nombre de mètres; une population de montagnards, habituée à jug-er des distances par les profondeurs, donnerait donc une esti- mation erronée de la hauteur de l'édifice, et de beaucoup supérieure à la véritable ; et un habitant des plaines don- nerait une estimation qui, bien qu'éloignée de la moyenne^ serait cependant beaucoup plus probable.

De même qu'il y a des préjugés de l'esprit qui obscur- cissent les principes les plus abstraits de la morale, il ptut se rencontrer dans la conformation des sens ou dans l'emploi habituel qu'on en fait, certains défauts qui dé- naturent les faits les plus matériels et les plus vulgaires.

11. Certes, nous ne croyons pas que les opinions de la foule soient si respectables qu'il faille s'y sou- mettre aveuglément et sans conteste ; mais si ceux-là qui ont le courage de heurter de front les préjug'és du vul- gaire et devancent l'humanité dans la voie du prog-rès, sont quelquefois honorés longtemps après leur mort, , ils font de leur vivant, l'histoire le prouve abondamment, de très-mauvaises affaires au point de vue de la spéculation. C'est que les préjugés sont lents à déraciner. Quelle récom- pense pourrait donc attendre le joueur qui ne travaille pas, que noue sachions, pour la postérité, quand même il lui serait prouvé que son jugement est supérieur à celui de tout le monde ?

La question, pour lui, se réduit à savoir si son compte de liquidation sera créditeur, et bien moins d'être assuré

:n

(|ue tous les événements qu'il prévoit se réaliseront de point en point, que d'être assuré que l'arrivée de ces évé- nements produira sur les cours l'effet auquel il s'attend, et c'est faute de bien faire cette distinction qu'il s'expose à tant de mécomptes ; de ce qu'un fait a produit un effet moindre ou opposé à celui qu'il attendait , il en conclut que les conséquences de ce fait produiront l'effet même auquel il s'attend. Mais de deux choses l'une ; ou il s'a- buse sur les conséquences du fait, ou sur ce que produi- ront ces conséquences, et l'écart de jugement qui l'a fait agir ne diminuant pas pour cela, son opinion sera dans un état constant de parallélisme avec l'opinion générale dans toutes ses expressions ; c'est pourquoi les faux juge- ments dépendant presque toujours de causes générales qui en vicient l'ensemble plutôt dans un même sens, le joueur est instinctivement am.ené à se classer en peu de temps dans une des deux grandes catégories, haussiers et baissiers. Alors, quelque logiques que soient toutes ses conclusions, il ressemble à un tireur qui, sous l'in- fluence d'une déviation constante de son arme, enver- rait toujours sa balle à un mètre au-dessus ou au-dessous du but ; il serait très-adroit , et cependant on ne lui dé- cernerait pas le prix.

Or, les préjugés qui dirigent l'esprit du vulg'aire ne se modifient qu'avec une extrême lenteur, puisqu'ils peu- vent persister pendant des siècles. Les erreurs en politique ou en finances sont lentes à déraciner, parce que l'éduca- tion d'un pays ne se refait pas d'un jour à l'autre. Certes, l'esprit public se trompait lorsqu'ignorant les forces et les ressources de notre crédit naissant il cotait à 10 fr.

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les consolidés 5 "/^ ; il se trompe toutes les fois qu'il se laisse entraîner aux exag-érations puériles de la crainte ou de l'espérance ; mais comme c'est une disposition qui existe, il ne sert à rien delà méconnaître ; si l'on veut réussir, il faut suivre le courant du vulg-aire.

« Pourquoi, dit Pascal, suit-on la pluralité? est-ce à cause qu'ils ont plus de raison ? Non, mais plus de force (*). »

La force est toute puissante à la Bourse, et il est dan- g'ereux d'y avoir raison contre tous.

Cependant, si les principes vrais ou faux qui dirigent l'économie sociale en matière de crédit public peuvent être, dans la pratique de la spéculation au jour le jour, regardés comme immuables, ces principes se modifiant lentement et toujours progressivement, il doit arriver que le même événement, dans des circonstances exactement semblables, mais à des intervalles de temps très-éloignés, ne produira plus le même effet; de même qu'il produirait à la fois des effets dissemblables sur le crédit de deux pays différents; d'où nous tirons dès à présent la notion de deux sortes de mouvements très-distincts dans les varia- tions de la valeur : le premier, résultant de la mobilité perpétuelle des événements présents, le second, résultant de circonstances beaucoup moins actives ; le premier, sous l'effet de causes purement accidentelles, le second, sous l'effet de causes constantes. Cette distinction nous sera très-nécessaire par la suite.

(') Pensées, art. 5, paragr. ;j.

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12. A la Bourse, tout le mécanisme du jeu se résume donc en deux chances contraires : la Tiausse et la baisse.

L'une et l'autre peuvent toujours se présenter avec une égale facilité.

Car si l'une des deux chances se présentait plus facile- ment ou plus souvent que l'autre, on verrait le cours de toutes les valeurs, sollicité dans un même sens, aug-menter ou diminuer indéfiniment, tandis que l'on voit en général la moyenne des cours rester sensiblement la même, et la valeur, dans ses variations, graviter autour d'un certain centre presque invariable, tantôt au-dessus, tantôt au- dessous.

A quelque moment que ce soit, il n'y a jamais plus d'avantages pour une chance que pour une autre ; et, dansTig-norance nous sommes de l'effet futur, il est absolument indifférent de parier poicr ou contre^ de se placer dans un sens plutôt que dans un autre, d'acheter plutôt que de vendre, de vendre plutôt qu'acheter.

Jouer à la hausse ou à la baisse revient donc à jouer à pile ou/ace.

Toute la différence consiste en ce que les chances sont déterminées àjjriori au jeu de pile ou face, ce qui fait qu'on n'y voit jamais par avance "une plus grande pos- sibilité d'amener l'un ou l'autre côté de la pièce.

Mais on pourrait très-bien remplacer la pièce de mon- naie qui sert au jeu par une urne remplie de boules blan- ches ou noires en égales quantités, oîi les boules tirées seraient remises pour que les conditions restassent les mêmes à tout coup.

N'est-il pas évident que la composition de l'urne n'é-

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tant connue que par la succession des tirages, on peut toujours supposer une certaine inégalité entre les deux couleurs, malgré le grand nombre de boules tirées et l'égalité presque parfaite des couleurs entre ces boules?

Il est une catég'orie de joueurs qui n'ont pas plus de prédilection pour telle variété de jeu que pour telle autre. Le trente et quarante et la roulette étant supprimés, ceux-là se sont rabattus sur la Bourse; la hausse et la baisse ont remplacé pour eux la roiige et la noire, et ils ne se livrent pas en général à de liantes combinaisons pour spéculer.

Ce qui rend la Bourse si séduisante et si perfide, c'est que presque toujours le joueur est convaincu que l'état d'égalité des cbances n'y est pas absolu, que son habileté ou son expérience ont plus de part que le hasard aux dé- cisions du sort ; tous les intérêts si élevés qui touchent à la fortune publique et à ses variations sont d'ailleurs un sujet d'étude agréable que chacun se flatte de connaître et d'apprécier mieux que personne; le joueur fait mieux qu'exprimer une opinion, il la traduit dans le langage des faits; rien ne l'empêche de se croire une puissance dans l'Etat.

C'est pourquoi il n'est personne, du plus grand au plus mince spéculateur, qui ne se croie en état de prophétiser à tout moment la hausse ou la baisse, de donner en toute occasion un avis important et dogmatique. Quelqu'un qui n'aurait aucun sentiment au sujet de la hausse ou de la baisse à venir le lendemain et ferait profession de dou- ter, donnerait aux habitués de la Bourse une triste opinion de son esprit.

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Si on réfléchit à la facilité avec laquelle l'homme est porté à s'excuser de ses erreurs, à tirer vanité de ses suc- cès, à se tromper sur des efiFets qu'il confond, on ne peut être surpris de la persistance de certains préjugés qui tou- chent à r amour-propre.

Combien attribuent à de savantes combinaisons le suc- cès qui n'est que l'œuvre du hasard ! Combien échouent , au contraire, malgré toutes les qualités d'observation qui, dans un meilleur emploi, les feraient réussir partout ailleurs !

13. Toutes les illusions si persistantes des joueurs à ce sujet peuvent se rapporter à deux espèces de causes prin- cipales :

P L'énumération inexacte ovi incomplète de toutes les chances.

Le cours d'une valeur étant nécessairement déterminé par un certain nombre de causes agissantes, l'imagina- tion du joueur donne de l'exagération à une cause et en amoindrit une autre ; change par conséquent les rapports qui unissent les causes entre elles, en découvre de nou- velles ou en néglig-e complètement quelques-unes, par ignorance ou défaut de jugement.

Nous trouvons dans Laplace (*) un exemple qui fera comprendre ce genre d'illusion.

« Une urne renferme quatre boules noires ou blanches, mais qui ne sont pas toutes de la même couleur. On a extrait une de ces boules, dont la couleur est blanche, et

(1) Essai philosophique Sîir les probabilités, édit. 1810, page 203.

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que l'on a remise dans l'urne pour procéder encore à de semblables tirages. On demande la probabilité de n'ex- traire que des boules noires dans les quatre tirages sui- vants. »

Avant le tirage, comme on peut admettre égalité entre les couleurs, c'est-à-dire deux boules blanches et deux boules noires, supposition parfaitement légitime dans l'ignorance oii. l'on est de la véritable composition de l'urne, il doit y avoir une probabilité de - pour l'extrac- tion d'une boule noire et de - ou - pour l'extraction de quatre boules noires successivement.

Le tirage d'une boule blanche nous indique une supé- riorité dans le nombre des boules blanches de l'urne ; il semble donc que le tirage de quatre boules noires succes- sivement doive avoir une probabilité inférieure à -.

Cependant il n'en est pas ainsi, car si on énumère les différentes hypothèses et qu'on fasse le produit de la pro- babilité de chacune par la probabilité que si elle existe l'événement futur aura lieu (parag. 2), on trouve la pro- babilité d'amener quatre boules noires de suite plus grande qu'un quatorzième.

Ce paradoxe s'explique en considérant que d'après l'é- noncé du problème, si on a retiré une boule blanche, l'hy- pothèse que les trois boules restantes sont blanches de- vient impossible, et que celle que ces trois boules sont noires subsiste toujours , et , bien que peu probable , elle augmente néanmoins la probabilité d'amener de suite quatre boules noires.

2' L'indépendance prise pour la dépendance des causes.

Il est certain que quand je joue à pile ou face, chaque coup est complètement indépendant des précédents, ou du moins n'a pas de dépendance appréciable ; de sorte que si j'avais amené face trois ou quatre fois de suite, il n'y aurait jamais qu'une probabilité égale d'amener pile au coup suivant; cependant, l'esprit du joueur, sous le coup des événements qui viennent de le frapper, tend à amener une dépendance entre tous les coups qui se sui- vent et croira d'avantage à l'arrivée de pile après un certain nombre de coups qui auront donné face ; tandis que l'on démontrerait facilement que s'il y a quelque iné- galité dans les cliances, cette inégalité, au contraire, est favorable à l'arrivée de face une nouvelle fois au coup suivant.

De même à la Bourse, le joueur est toujours tenté de conjecturer ce qui doit arriver d'après ce qui est arrivé, de sorte qu'après trois ou quatre jours de baisse, il croira plus volontiers à la hausse le jour suivant, ou d'autres fois y verra, au contraire, un motif pour la continuation du mouvement, bien qu'après tout il y ait complète indé- pendance entre ces divers effets.

14. Dans tout jeu égal, le joueur, quelque système qu'il suive, ne peut jamais acquérir une probabilité plus forte de g-ain qu'à la condition de diminuer son g*ain; par contre, iln'3 peut augmenter l'importance de son gain éventuel qu'à la condition de diminuer ses chances de gain, le produit qu'on obtient en multiplant le gain pos- sible par la probabilité du gain devant toujours être égal

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à celui qu'on obtient en multipliant la perte possible par la probabilité de la perte.

Si le jeu est inég-al, les produits de la perte et du gain par leurs probabilités, doivent de même toujours être identiques. Tout ce que le joueur peut faire, c'est de changer le rapport des termes, c'est d'accroître à volonté l'un des facteurs de chaque produit constant aux dépens de l'autre facteur. Toute progression montante ou des- cendante dans le montant des mises, toute combinaison pour l'entrée ou la sortie au jeu, n'ont jamais le pouvoir de changer les conditions primitives d'un jeu.

Certain auteur (') soutient que la principale, la plus importante maxime à observer pour gagner de l'argent à la Bourse est de savoir réaliser une inerte, c'est-à-dire de liquider immédiatement une opération dès qu'on s'aper- çoit qu'elle est mal eng*agée. N'est-il pas évident que si, par ce système, on liquide des pertes dix fois moindres, on en liquidera dix fois plus ? et que le seul résultat aura été de payer dix fois plus de courtages ?

A la Bourse, il n'y a aucune théorie absolue que celle qui se contente de rester à l'état de théorie pure ; il n'est pas plus juste de dire que le grand secret est d'acheter en baisse et de vendre en hausse, car la hausse et la baisse sont entièrement relatives , et le secret , si simple qu'il paraisse , restera toujours un problème difficile à résoudre; peu importe pour le joueur cette vérité vulg-aire qu'avec de la patience tous les cours se re- voient, car il faut qu'ils se revoient à temps ; l'essentiel

(I) M. Calemard de la Fayette, Guide du client à la Bourse.

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n'est pas de savoir si on peut gagner, mais si l'on gagne.

Ceux-ci, haussier ou baissier systématiques, ont pour principe de se faire des moyennes ou des communes f-qu on baisse sur un premier achat, le haussier continuera d'a- cheter sans relâche; qu'on monte sur une première vente, le baissier vendra dix fois de suite s'il le faut ; mais s'ils gagnent chacun un léger bénéfice sur la dernière affaire, ils perdent sur toutes les précédentes ; celui-là a pour sys- tème les arbitrages : il achète une valeur et en vend une autre au même instant ; le bénéfice réalisé d'un côté est absorbé par la perte essuyée de l'autre côté; celui-ci m^ïr- tingale, il double toujours ses opérations sur un bénéfice acquis; cet autre emploie le même système, mais en sens inverse : il achète, la baisse arrive, vite il se retourne et vend le double ; qu'on vienne à remonter, il rachètera au quadruple ; l'un ne saura qu'acheter des primes, un autre en vendra toujours ; celui-ci attendra toujours pour acheter qu'un mouvement de hausse se soit déjà pro- duit, celui-là se mettra, au contraire, en travers du mou- vement, etc.

Toutes les combinaisons les mieux raisonnées, toutes les théories les plus savantes, tous les traités les mieux écrits sur l'art de guider le joueur à la Bourse ne pourront jamais assurer un centime de bénéfice au joueur.

Le jeu n'a rien à démêler avec la connaissance du cœur humain et des lois économiques qui régissent une so- ciété (') ; ce n'est pas l'art de ravir au hasard tout ce qu'il est possible de lui enlever, à moins que cette expression

(1) Des 02H'rations de Bourse, par Courtois, i/age 67.

M

lie soit un euphémisme pour signifier des moyens frau- duleux et illicites.

Toutes ces déclamations pompeuses sur le rôle de la spéculation, sur ses prétendus services, en tant qu'elles s'appliquent au jeu, ne sont que billevesées et lieux com- muns destinés ou à caresser la crédulité des nris, ou à masquer la supercherie des autres.

15. Il n'y a qu'une seule manière de réaliser des béné- fices certains à la Bourse : c'est de n'opérer que sur des données sûres et inconnues du public, de posséder le secret de certains événements assez importants pour exercer une influence considérable sur les cours. Mais pour l'immense majorité du public, qui ne dispose d'aucun de ces renseignements accessibles au petit nombre, qui n'est admis dans aucun de ces cénacles s'élaborent les grandes décisions politiques et financières, c'est une première cause d'inégalité toute à son préjudice à laquelle il lui est impossible de se soustraire par aucun mo3^en.

Dans tous les jeux de hasard qui comprennent deux chances contraires, l'égalité relative résulte précisément de la faculté pour le joueur de choisir l'une ou l'autre chance à volonté : ces deux conditions sont d'ailleurs in- dissolubles, car si une des deux chances offrait un peu plus d'avantage que l'autre, c'est celle-là que l'on choisirait à tout coup.

A la Bourse, il n'y a aussi que deux chances con- traires; et de ce que l'on croit en soi à un libre arbitre qui permet de choisir indistinctement l'une ou l'autre, on

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eu conclut à la parité des chances ; cependant, l'action d'acheter ou de vendre est toujours déterminée par cer- tains mobiles que l'on peut nier, parce qu'ils sont souvent comme insensibles, mais qui n'en existent pas moins. Est-ce que si les trois ou quatre mille personnes qui fré- quentent journellement la Bourse y venaient toutes un jour avec la ferme volonté d'acheter, la chose ne serait pas matériellement impossible ? Pour acheter, il faut des vendeurs. On dira que le changement des cours, que la hausse qui résultera nécessairement d'une telle situation changeront la résolution d'une partie des spéculateurs qui étaient venus avec l'intention d'acheter : ce sont-là juste- ment les principaux mobiles qui modifieront la résolution primitive de chacun, mais il faudra forcément qu'une partie des acheteurs élève de plus en plus le niveau des demandes, que d'autres, ne voulant pas monter jusqu'à ce niveau, ne le trouvant pas d'ailleurs suffisant pour vendre, s'abstienne de toute action, enfin, que d'autres se constituent vendeurs.

Cependant, les mobiles qui agissent en cette circons- tance sur la volonté de chacun ne sont pas les mêmes, car si dans l'hypothèse même qui nous sert de point de départ, quelques-uns des spéculateurs qui sont venus dans l'inten- tion d'acheter, ont, à l'insu de tous les autres, la connais- sance d'une nouvelle qui doit amener une hausse consi- dérable, cette raison principale triomphera indubitable- ment de toutes les raisons secondaires qui déterminent une certaine partie des spéculateurs à se constituer ven- deurs.

Voilà donc une partie que l'on croyait égale, qui très-

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souvent n'est tenue que si elle doit être désavantageuse.

Les théoriciens de la Bourse raisonnent très-habile- ment dans leurs systèmes, parce que, en théorie, toutes opérations sont possibles sans contreparties, mais à la Bourse, il }' a loin de la théorie à l'exécution.

Qui n'a jamais fait cette remarque si simple, que sur cinquante ordres qui n'ont pas été exécutés comme im- possibles, il n'en est peut-être pas un seul qui, exécuté, n'eût produit du bénéfice, et qui par conséquent n'eût été exécuté s'il eût produire de la perte?

16. A la Bourse, il ne suffit donc pas de donner un ordre et dire en reg-ardant la cote : j'achète ou je vends à tel cours, ainsi qu'on dirait au trente-et-quarante : je pose sur la rouge , ou je pose sur la noire : il arrive très- souvent que le joueur est forcé de manquer son opération, dans le cas elle serait bonne, ou enfin de payer un prix trop élevé, de donner h un prix trop bas, s'il tient à la conclure ; ce qui , bien que l'opération ne soit pas tou- jours liquidée avec perte, n'en constitue pas moins une perte très-réelle.

Le dommage qui résulte de cette situation pour le joueur est évidemment en raison de l'importance de cette petite minorité influente qui le trompe, ou plutôt delà quantité de ses opérations , par rapport à la masse totale. Toutes choses égales d'ailleurs, les chances défavora- bles sont donc beaucoup moindres dans un marché très- large, dont le courant d'aftaires est très-étendu, et elles

augmentent en proportion dans un marché restreint, et surtout impressionnable.

Il serait assez difficile d'estimer dans un cas particulier quelle peut être la part prélevée de cette manière sur le public ; mais si on remarque que le nombre de ces opéra- tions, faites dans le but d'exploiter la connaissance d'une cause précise, encore inconnue du public, doit être en raison directe de l'importance de cette cause, on peut admettre que la part est à peu près la même dans tous les cas, et que c'est en quelque sorte un impôt obligé, proportionnel à la totalité des transactions de chacun, une espèce de courtage occulte qui grève les affaires.

Rigoureusement, il est toujours possible d'acheter et de vendre à la Bourse, en élevant le prix des demandes ou abaissant celui des offres ; mais la différence entre les prix déterminés par une concurrence loyale et une con- currence déloyale est aussi toujours au préjudice du spé- culateur.

L'illusion des joueurs au sujet de cette cause certaine d'inégalité n'est pas facile à dissiper ; cela tient surtout, croyons-nous, à ce que l'effet n'est pas toujours produit dans le même sens, que c'est tantôt dans l'un, tantôt dans l'autre, que les probabilités de perte deviennent plus con- sidérables.

Mais cette illusion ressemble à celle du joueur qui, ayant affaire à un adversaire muni d'une pièce différente dans chacune de ses poches , dont l'une serait préparée pour retomber ^wv^ile^ et l'autre pour retomber ^uvface^ ne s'apercevrait que d'une chose, c'est qu'il lui est loisible

/i.H

(le choisir indifféremment pile ou face, et se verrait perdre à tout coup, sans pouvoir en deviner la cause.

Malheureusement, à la Bourse, on ne connait jamais son adversaire, et quand on perd de cette façon, on ne peut s'en prendre à personne.

Le fonctionnaire qui trafique de sa position et des se- crets de l'Etat, l'administrateur qui trouve moyen de dérober aux actionnaires plus que l'intérêt qu'il leur paye, toutes les turpitudes sont à couvert sous ce voile com- mode et mystérieux de l'anonyme, qu'on qualifie de secret nécessaire, de garantie indispensable des transactions.

17. Cette première cause d'inégalité dans des chan- ces que l'on croirait égales, n'est cependant ni la seule, ni la plus importante : ce qui contribue surtout à établir l'inégalité, c'est le droit de transmission ou de courtage prélevé sur toute opération.

Dans l'impossibilité de donner une estimation même approximative de ce que représente la première de ces deux causes, comme elle n'est jamais que supposée et non certaine, nous n'aurons égard, dans ce qui va suivre, qu'à la seconde, dont les effets sont autrement évidents.

Il n'y a pas un seul jeu de hasard qui ne présente dès le principe quelque inégalité résultant d'un droit fixe et déterminé payé au banqider ; puisque les affaires de jeu n'ont jamais été officiellement reconnues à la Bourse, le droit de courtage, prélevé par des agents officiels, consi- déré comme la commission d'une transmission réelle de valeurs, devait, ce nous semble, être le même dans toutes

46

]es circonstances ; mais, chose étrange, pour se plier aux habitudes dçs joueurs, pour leur permettre d'opérer plus souvent, ce droit a été abaissé sur la rente, et fixé à 20 fr. par 1 500 de r^^ : on a fait la concession d'un courtage pour les affaires liquidées dans une même bourse, quel- quefois des remises. Le courtage est, avant tout, le droit d'une simple banque de jeu.

Tous les événements qui se succèdent au jeu et, en fin de compte, la balance des pertes et des gains sont, à la Bourse comme à tous les jeux de hasard, la conséquence unique du développement des chances favorables et défa- vorables, déterminées par le droit de banque. Il est donc très-important de fixer le rapport de ces chances, et pour une somme que l'on peut gag-ner, quelle est la somme correspondante que l'on risque de perdre.

Lorsque Sauveur donna en 1679 l'analyse et le rapport des chances du jeu alors à la mode, la bassette, beaucoup de personnes qui jusque avaient été persuadées que ce jeu était celui qui leur offrait le plus d'avantages, le dé- laissèrent aussitôt, ou en choisirent d'autres le bé- néfice du banquier leur portait moins de préjudice. Ce que le gouvernement avait essa^^é inutilement par une foule de décrets, se trouva résolu, et si le jeu ne fut pas détruit, il fit moins de victimes. Cette étude est donc intéressante, quand ce ne serait que pour montrer aux joueurs quel est le jeu qui leur présente le moins de désavantage.

A la roulette, au trente-et- quarante, dans une foule de jeux de hasard aujourd'hui tombés en désuétude pour la plupart, le rapport des chances a pu être assez facilement déterminé, parce qu'il est constant et ne varie jamais ; ce

47 -

(|ui disting'ue la Bourse, c'est que le rapport des chances du jeu y est essentiellement variable.

Le droit de courtage qui modifie ces cliances, est tantôt fixe comme sur la rente, tantôt variable en raison du capi- tal des valeurs négociées; ensuite ce capital est presque entièrement fictif. En réalité, tout se réduit pour le joueur à une diférence entre un prix d'achat et un prix de vente : c'est cette différence qui forme le véritable enjeu qu'il se propose de perdre ou gagner, augmenté ou réduit du courtage selon l'un ou l'autre cas. Or, il n'y a aucun rap- port apparent entre le courtage tel qu'il est prélevé et la différence de gain ou de perte qu'une opération peut pré- senter.

Il ne serait pas impossible de prélever le courtage sur la différence réalisée entre l'acliat et la vente, en le fixant par exemple à 20 p. "/o de cette différence, ce qui, tout en paraissant énorme, correspondrait assez bien au droit ac- tuel quant à son produit ; il est vrai qu'un droit prélevé de la sorte serait profondément immoral, puisque tout en donnant une sanction officielle aux affaires de jeu, il se- rait pris au détriment de ceux qui font peu d'affaires au profit de ceux qui en font journellement, et n'aurait d'au- tre effet que de surexciter au dernier point la spéculation à terme, mais il aurait du moins l'avantage de simplifier singulièrement la science de la Bourse.

18. Après y avoir mûrement réfléchi, nous avons reconnu l'impossibilité de prendre un rapport unique en- tre le gain et la perte que présentent les opérations de

Bourse, et c'est dans les différentes manières dont se li- quide le spéculateur, dans le temps qu'il consacre habi- tuellement à la liquidation de ses affaires, que nous avons enfin trouvé une base certaine pour fixer le rapport des pertes et des gains que ses spéculations doivent inévita- blement présenter.

Expliquons-nous : lorsqu'un spéculateur eng-age une affaire, il n'est, le plus souvent, nullement décidé à la li- quider précisément à tel jour et à telle heure ; ce qui l'in- fluence surtout, c'est le bénéfice ou la perte que l'opération présentera à un moment quelconque, toujours indéterminé d'avance ; selon son caractère et ses habitudes, il se con- tentera de réaliser à peu près tel bénéfice, et il suffira de telle perte pour le déterminer à se liquider. Mais bien qu'en agissant de la sorte, il puisse rester plus ou moins longtemps sans engager d'affaires, qu'il n'y ait aucune régularité apparente dans les espaces de temps nécessai- res à amener l'écart de liquidation qui lui convient, il serait indifférent pour lui de remplacer l'écart fixe, qu'il recherche entre ses prix d'achat ou de vente, par un certain temps ég'al entre chacune de ses opérations et sa liquidation, bien que, de cette manière, il n'ait plus que des différences irrégulières, tantôt plus fortes, tantôt plus faibles.

Il y a donc une certaine relation entre la différence pré- sentée par une opération lorsqu'elle se liquide, et le tem'ps donné à sa liquidation. Mais quelle est cette relation ? C'est ce que nous allons chercher.

~ 49

19. Si ou suit attentivement les variations de la Bourse pendant une très-longue période de temps, en commençant par relever le cours d'une valeur à un très- grand nombre de dates prises indifféremment, en calcu- lant ensuite l'écart de prix entre ces cours et les cours correspondants à une époque ég*alement éloignée de cha- cune de ces dates, à un mois de distance, par exemple, qu'on recommence plusieurs fois de suite la même expé- rience, on obtiendra toujours des sommes d'écarts ou des moyennes sensiblement ég-ales. De sorte que différents spéculateurs qui se seraient invariablement conformés h ce principe, de toujours mettre un mois, ou en général un intervalle de temps égal entre cliacune de leurs affaires et sa liquidation, et qui auraient spéculé très -longtemps, chacun de son côté, seraient tous arrivés au même résultat, auraient obtenu en moyenne des différences ég-ales entre leurs prix d' achats et leurs prix de ventes. On peut en conclure que les écarts sont égatùx j^oitr des ternes égaux.

Si, en second lieu, on suit les différences ou les écarts entre deux périodes plus rapprochées, comme à quinze jours de distance, on s'aperçoit que la moyenne de ces nou- veaux écarts est plus faible que la première.

Si on suit les écarts à une période encore plus rappro- chée, comme tous les huit jours, la moyenne est encore plus faible que la seconde.

En diminuant les périodes de temps, comme à 5 jours, 3 jours, 2 jours de distance, ouenlîn d'une bourse sur l'au- tre, les moyennes d'écart vont constamment en diminuant.

Par conséquent, les écarts ront en diminuant pour des

4

temps plies rapprochés^ en augmentant pour des temps plus éloignés.

Enfin, si on cherche quel est le rapport qui peut unir ces différents écarts aux différents temps dans lesquels ils se sont produits, on peut constater que pour une période moitié moindre, l'écart diminue, non pas de moitié, mais dans une proportion qui est sensiblement à la première comme 1 esta 1,41 ; pour une période trois fois moindre, l'écart diminue dans un rapport qui est comme 1 à 1,73, pour une période de temps quatre fois moindre, dans le rapport 1 à 2.

Il existe donc une loi mathématique qui règle les varia- tions et l'écart moyen des cours de la Bourse, et cette loi, qui ne paraît pas avoirjamais été soupçonnée jusqu'à pré- sent, nous la formulons ici pour la première fois :

L'ÉCART DES COURS EST EN RAISON DIRECTE DE LA RACINE CARRÉE DES TEMPS.

De sorte que le spéculateur qui veut se liquider avec des écarts doubles, c'est-à-dire des différences deux fois plus grandes entre ses prix d'achat et de vente, doit attendre quatre fois plus longtemps ; s'il veut se liquider avec des différences triples, neuf îoi& plus longtemps et ainsi de suite, en multipliant les temps par les carrés des écarts.

Celui qui ne met, par exemple, qu'unjour d'intervalle entre ses liquidations, se liquidera avec un écart moitié moindre que celui qui se liquide tous les quatre jours, trois fois moindre que celui qui se liquide tous les neuf jours, etc., en divisant les écarts par les racines carrées des temps.

n -

Il faut du reste un nombre assez considérable d'opéra- tions pour faire ressortir clairement ces rapports qui de- viennent rigoureusement exacts quand le nombre des opé-

rations est excessivement grand.

20. Essayons de comprendre la raison de cette loi si remarquable :

La valeur, dans ses variations, est toujours à la recher- che de son véritable prix, ou d'un prix absolu, que l'on peut se figurer comme le centre d'un cercle dont le rayon représentera l'écart qui peut se porter indifféremment dans l'un ou l'autre sens et sur tous les points de la surfiice, dans un temps égal par conséquent à cette surface, et dont tous les points de la circonférence représenteront les limites d'écart. Dans toutes ses variations, la valeur ne fait jamais que s'éloigner ou se rapprocher du centre, et les premières notions de la géométrie nous indiquent que les rayons ou les écarts sont proportionnels aux racines carrées des superficies ou des temps.

Pourquoi est-ce la loi inverse qui se produit dans la pesanteur ou les oscillations du pendule, oîi les espaces parcourus et les écarts d'oscillations sont en raison des carrés des temps? C'est uniquement parce que les corps, dans leur chute, se dirigent de la circonférence au centre, tandis que la valeur, dans ses plus grands écarts, est re- poussée du centre à la circonférence.

Quel sujet d'étonnement et d'admiration nous offrent les vues de la Providence, quelles réflexions nous suggère l'ordre merveilleux qui préside aux moindres détails des

52 -

événements les plus cachés ! Quoi ! les variations de la Bourse sont soumises à des lois mathématiques immua- bles ! Des événements qui sont le produit du caprice des hommes, des secousses les plus imprévues du mouvement politique, des combinaisons financières les plus savam- ment étudiées, le résultat d'une multitude d'événements qui n'ont aucune relation entre eux, tous ces effets se combinent dans un ensemble admirable, et le Jiasard n'est plus qu'un mot vide de sens! Et maintenant, apprenez et soyez humbles, princes delà terre qui, dans votre orgueil, rêvez tenir dans vos mains les destinées des peuples, rois de la finance qui disposez des richesses et du crédit des Etats, vous n'êtes que de frêles et dociles instruments dans la main de Celui qui embrasse toutes les causes et tous les effets dans un même ordre, qui, selon l'expression de la Bible, a tout mesuré, tout compté, tout pesé, tout distri- bué dans un ordre parfait.

L'homme s'agite. Dieu le mène.

21. Il suffisait de connaître l'écart de liquidation d'une certaine période de temps, pour qu'au moyen de cette loi, on pût reconstruire l'écart d'une période de temps quelconque.

D'après les observations faites jusqu'à ces derniers temps sur les variations de la rente 3p. '^/o depuis sa créa- tion, Y écart moyen des cours, dans l'espace d'un mois , peut êtrg fixé à 1 fr. 55 c.

U écart probable, à 1 fr. 10 c.

C'est-à-dire que si un spéculateur engageait pendant

53

très-longtemps des affaires qu'il liquiderait régulièrement tous les mois, l'écart moyen entre ses cours d'achats et de ventes, ou la somme des différences dirisée par le nombre des opérations, serait environ de 1 fr. 55 c., et que sur le nombre total de ses opératione, il y en aurait la moitié qui se seraient liquidées avec un écart supérieur à 1 fr. 10 c. et la moitié avec un écart moindre.

Nous noterons en passant le rapport remarquable qui unit l'écart probable à l'écart moyen, à peu près égal à ^, rapport qu'on retrouve fréquemment, qui est celui, par exemple, qui relie la vie probable à la vie moyenne.

Ce rapport n'est d'ailleurs pas invariable , il sert à donner la mesure de la régularité du mouvement des cours, et selon que ce mouvement obéit à des secousses moins violentes, à des élans moins discontinus, l'écart probable se rapproche de l'écart moyen ; il pourrait même se confondre avec lui si le mouvement des cours était parfaitement régulier, entièrement continu.

Et comme la tendance de la vie probable à se rappro- cher de la vie moyenne est un indice des progrès du bien- être et de la civilisation dans un pays, ainsi le rapport des écarts pour les cours, qui tend à se rapprocher de l'u- nité sans pouvoir jamais y parvenir complètement, est une mesure exacte de la moralité de la spéculation et de la fermeté du crédit.

On peut tirer l'écart probable et l'écart moyen des cours l'un de l'autre, en les multipliant ou divisant par 1,41, ou par le rapport 1 ,4,qui a l'avantage d'être très-simple, et que nous employerons toujours, ne pouvant exiger d'ailleurs une précision rigoureuse dans des rapports variables.

m

22. Le spéculateur qui liquiderait ses affaires tous les mois, au commencement et à la fin, de manière à éviter tous reports, opérant avec un écart moyen de 1 fr. 55 c. , la différence produite par cette variation sur 1500 fr. de rente, ce qui est la plus petite quantité négociable à terme, serait 775 fr., et comme il aurait deux courtages de 20 fr. à payer, un pour l'achat et un pour la vente, son bénéfice serait en moyenne de 775-40 ou 735 fr. tandis que sa perte s'élèverait à 775+40, ou 815 fr. Le rapport de son bénéfice et de sa perte, ou de ses chances favorables et défavorables, serait 147 et 163 ou 1 et 1,109 environ.

Voulons-nous savoir maintenant quel sera le nouveau rapport des chances de ce même spéculateur, si au lieu de ne faire qu'une opération tous les mois, il en fait une tous les quinze jours? Nous diviserons la différence 775 par 1/2 = 1,414, ce qui donnera une différence moyenne de 548 fr., qui, en cas de gain, se réduit à 508, et en cas de perte, s'élève h 588 ; le rapport cherché est celui de ces deux nombres, ou plus simplement, comme 1 à 1,1575.

Nous pouvons enfin, connaissant le rapport qui unit tous les écarts, dresser le tableau suivant, pour une moyennede liquidation jour par jour, depuis le joueur qui se liquiderait dans la même bourse jusqu'à celui qui ne se liquiderait que tous les mois.

Bien qu'il n'y ait que vingt-cinq ou vingt-six jours de bourse dans le mois, les choses se passent comme s'il y en avait trente, et l'écart' du samedi au lundi est généra- lement plus fort que celui qui sépare deux jours consé- cutifs de la semaine.

55

TEMPS

MOYEN

de liquld.

(jouis\

'A

ÉCARTS

DIFF.Btcs

aar

1500 R'«

DIFF. NETTES

Le gain= 1 La pcrle=

l'rob. 0,14

Moyen.

en gain

en perle

0,2001

100,05

80,05

120,05

1,4997 1

1

0,20

0,2830

141,50

101,50

181,50

1,7882

2

0,28

0,4002

200,10

160,10

240,10

1,4997

3

0,35

0,4902

245,10

205,10

285,10

1,3900

4

0,40

0,5660

283

243

323

1,3292

5

0,45

0,6328

316,40

276,40

356,40

1,2894

6

0,49

0,6932

346,60

306,60

386,60

1,2609

7

0,53

0,7487

374,35

334,35

414,35

1,2392

8

0,57

0,8004

400,20

360,20

440,20

1,2221

9

0,60

0,8490

424,50

384,50

464,50

1,2081

10

0,63

0,8949

447,45

40X45

487,45

1,1963

11

0,07

0,9386

469,30

429,30

509,30

1,1864

12

0,70

0,9803

490,15

450,15

530,15

1,1777

13

0,72

1,0203

510,15

470,15

550,15

1,1702

14

0,75

1,0588

529,40

489,40

569,40

1,1635

15

0,78

1,0960

548

508

588

1,1575

16

0,80

1,1320

566

528

606

1,1521

17

0,83

1,1668

583,40

543,40

623,40

1,1472

18

0,85

1,2006

600,30

560.30

640,30

1,1428

19

0,87

1,2335

616,75

576,75

656.75

1,1387

20

0,90

1,2656

632,80

592,80

672,80

1,1350

21

0,92

1,2968

648,40

608,40

688,40

1,1315

22

0,94

1,3274

663,70

623,70

703,70

1,1283

23

0,96

1,3572 678,60

638,60

718,60

1,1253

24

0,98

1,3863

693,15

653,15

733,15

1,1225

25

1

1,4149

707,45

667,45

747,45

1,1199

26

1,02

1,4430

721,50

681,50

761,50

1,1174

27

1,04

i,4705

735,25

695,25

775,25

1,1151

28

1,06

1,4974

748,70

708,70

788,70

1,1129

29

1,08

1,5240

762

722

802

1,1108

30 1,10

1,5500 775

735

815

1,1088

56

2'S. La méthode de formation de ce tableau n'e^^t pas difficile à saisir. Pour obtenir l'écart moyen de liquida- tion d'un nombre quelconque de jours, nous commençons par diviser le nombre des jours d'un mois, 30, par ce nombre de jours ; nous avons ainsi le rapport des temps ; nous prenons la racine carrée de ce rapport, et nous di- visons l'écart moyen du mois, 1,55, par cette racine car- rée. Pour l'écart moyen de liquidation d'un jour au sui- vant, nous trouvons 0, 28 cent. ; pour l'écart de deux jours, 0,40 cent.; pour l'écart de trois jours, 0,49 cent, etc.... En considérant que les écarts d'une bourse représentent les écarts d'un jour, et que se liquider dans une même bourse revient à une liquidation moyenne d'un demi-jour, nous trouvons que l'écart moyen de liquidation dans une même bourse est de 0, 20 cent. Afin de donner plus d'exactitude aux calculs qui vont suivre, nous avons pris quatre déci- males. L'écart probable se forme de l'écart moyen en di- visant celui-ci par 1,4 : nous nous sommes borné aux centimes, n'ayant pas besoin d'une plus grande approxi- mation.

Les écarts n'établissent pas ici de distinction entre le comptant et le terme : les opérations peuvent en effet être tout aussi nombreuses et revêtir le même caractère au comptant qu'à terme ; mais les courtages ne pouvaient que se rapporter exclusivement aux opérations à terme, et ce sont du reste les moins élevés et les plus favora- bles au joueur.

La différence brute présentée par chacun des écarts mofens sur 1 500 fr. de rente est de ou 500 fois cet écart : cette différeaice se réduit des courtag-es d'achat et

57

de vente en cari de gain, elle s'aug-inente du montant de ces courtig-es en cas de perte.

Pour trouver le rapport de la perte au g-ain, en repré- sentant toujours le g*ain par l'unité, nous divisons la dif- férence en cas de perte par la différence en cas de gain.

La loi qui détermine les différences brutes est très- simple à comprendre. Selon qu'on se liquide habituelle- ment à des époques plus ou moins longues, la différence présentée par l'opération est plus ou moins grande, et elle est en raison directe de la racine carrée du temps; si le temps est double, la différence s'augmente dans le rap- port de 1 à 1/2, et il faut un temps quadruple pour que cette différence s'augmente du double.

Si maintenant, detoutes.ces différences ainsi obtenues, on retranche ou si on ajoute une même somme, telle que le courtage qui est invariable, on obtient deux différences nettes, une en gain, l'autre en perte, dont le rapport ex- primé par la dernière colonne du tableau, est soumis à une certaine loi de décroissance qui est un rapport de puissances ou géométrique inverse du rapport aritliméti- que des écarts.

Par exemple, l'écart moyen de liquidation de 4 jours donnant une différence brute double de la différence pré- sentée par l'écart d'un jour, le rapport des différences nettes après prélèvement du courtage, pour une moyenne de 4 jours est de 1,3292, et devrait être la racine carrée du rapport pour un jour, qui est 1,7882.

Mais il se trouve que c'est entre 1,3372 et 1,3373 qu'est la racine carrée de 1,7882, et cette loi n'est donc pas rigoureusement exacte. Elle ne le devient que théorique-

58

ment sur des différences très-grandes, à mesure que di- minue le rapport du courtage à la différence.

24. Les mêmes lois de formation se continueraient d'ailleurs pour un temps au-delà de 30 jours, ou pour des fractions de jours, identiquement de la même manière. Seulement, dans le cas l'écart de liquidation dépasse un mois, pour les opérations à terme et à découvert, il faut nécessairement tenir compte du courtage des reports.

Assez souvent même, une afiFaire liquidée à moins d'un mois de date, subit un report; et le report, considéré comme une opération simultanée d'achat et vente à deux liquidations différentes, est soumis à un courtage de 20 fr. ; il faudrait donc dans ce cas, ajouter ou retrancher de la différence brute, une somme de 40 + 20, ou 60 fr. de courtages. Si une opération est reportée sur dix, cela revient à augmenter d'un vingtième le courtag'e de cha- que opération.

Celui qui se liquide le jour même, n'a qu'un seul cour- tage à payer pour les deux opérations d'achat et de vente. Il se trouve dans la position de celui qui se liquiderait tous les deux jours : l'avantage de ne payer qu'un cour- tage revient ici à celui d'avoir un écart double, pour le rapport de la perte au gain ; si celui qui se liquide le jour même, n'opérait jamais qu'au commencement et à la fin de chaque bourse, il se trouverait dans une situation pres- que aussi favorable que celui qui se liquiderait tous les quatre jours. Le joueur qui liquiderait toutes ses opéra-

- 89 - tioiis du jour au lendemain, serait dans la position la plus désavantageuse de toutes.

La moyenne des temps de liquidation ne se calcule pas comme la moyenne des écarts. Les temps sont des surfa- ces, les écarts sont des lignes. Celui qui se liquiderait, par exemple, régulièrement, tantôt tous les deux jours, tantôt tous les huit jours, ayant d'abord 0,40 cent, d'é- cart moyen, et en second lieu 0,80 cent.; celui qui se li- quiderait tous les cinq jours, c'est-à-dire dans un temps également distant de deux et de huit jours, aurait plus de 0,63 c. (voir au tableau). Pour trouver le tem/ps moyen qui correspond à l'écart moyen de 0,60 cent., il faut prendre la mo3^enne des racines carrées des temps, et l'élever au carré. Ici, on aurait J/ô + 1/8, o^^ 1,414 et 2,828, dont la moyenne, 2,121, élevée au carrée, donne 4,498. Celui qui se liquiderait tous les quatre jours et demi environ, serait dans la même position que celui qui se liquiderait tantôt tous les deux jours, et tantôt tous les huit jours.

Dans une suite d'opérations continuelle, le moyen d'ob- tenir d'égales différences dans un temps moindre, ou de plus grandes différences dans un temps égal, d'opérer par conséquent avec le moins de désavantage possible, ce serait de toujours laisser un temps égal employé à la liqui- dation de chacune de ses affaires. En effet, d'après ce que l'on vient de voir, les écarts doivent toujours augmenter à mesure que diminue l'irrégularité des temps. Dans tou- tes ses leçons, la nature nous enseigne que la situation la plus avantageuse est toujours la plus égale, et celle dont l'action se maintient entre de plus étroites limites.

60

25. On conclut souvent des paris sur le cours probable des valeurs à un moment donné, et comme ils ne sont soumis h d'autres règles que le caprice des joueurs, ceux- ci ne se doutent pas que le pari n'est presque jamais équitable, puisque, dès le principe, ils ont chacun des chances très-inégales de le gagner.

C'est ce qu'il nous deviendra facile de vérifier à l'a- venir.

Exemple : Supposons que la Rente soit aujourd'hui à 75 francs, et qu'il s'agisse de savoir ce qu'elle fera dans un mois, cours d'une même liquidation.

Elle a autant de chances d'être au-dessus qn'au-dessoîcs de ce cours, avec un écsivt plus petit ou phcs grand que 1 fr. 10 c. en hausse ou en baisse.

Ou pourrait donc parier îm contre im pour la hausse ou pour la baisse à volonté, ou pour un cours compris entre, ou ne dépassant pas les prix de 73 fr. 90 et 76 fr. 10, limites extrêmes de l'écart probable.

A trois mois de distance, comme l'écart probable est de 1,10 VT, 1,90, il faudrait prendre les limites de 73 fr. 10 et 76 fr. 90.

A six mois de distance, comme l'écart probable est de 1,10 1/6, := 2,70, il faudrait prendre les limites de 72 fr. 30 et 77 fr. 70.

A un an de distance, comme l'écart probable est de 1,10 |/l2, = 3,80, on prendrait pour limites les cours de 71 fr. 20 et 78 fr. 80.

Mais si l'on voulait parier, par exemple pour un cours en hausse, comme il y aurait une probabilité- pour la hausse, et .;pour un écart plus petit ou plus grand que 1 fr. 10,

61 -

il ne taudmit tloimei' que , uu un contre trois pour le cours de 76 fr. 10, et il y aurait désavantage si le cours devait dépasser cette limite.

A mesure que l'écart devrait aug-menter dans un même temps, la probabilité diminuerait en raison du carré de l'écart.

Ainsi, on ne pourrait parier tout au plus que - ou un contre quatre, que le cours atteindra 1,10 i/ 1, 25 = 1,23? ou 76 fr. 23. ou 1 sur 10 pour 1,10 1/2^ =1,74 ou 76 fr. 74 1,10 l/3;75-2,13 » 77 13 1,10 yir=^2AQ .) 77 46 1,10 1/6^^2,75 1,10 k' 72:5 =3,89 1,10 l/2r"=5,50 Dans des circonstances ordinaires, il y aurait donc dé- savantage à parier, par exemple, 1 contre 24 que la Rente au bout d'un mois sera à un prix quelconque, mais supé- rieur à 77 fr. 75, ou de parier 24 contre 1 qu'elle sera au-dessous de ce même prix, et il y aurait avantage de tenir les paris contraires.

Même chose pour les écarts en moins et pour les écarts en baisse.

Tous ces cours sont à une même liquidation, c'est-à- dire qu'ils ne subissent pas l'influence du report ou de l'intérêt.

26. Comme les écarts ne doivent être produits que par l'effet des seules causes accidentelles, il faudrait, si

»

15

»

20

»

25

»

50

»

100

77

75

78

89

80

50

62 -

les cours étaient à des termes différents ou au comptant, tenir compte du report, de l'intérêt semestriel, ou du dé- tachement du coupon.

Exemple : La Rente étant aujourd'hui à 75 fr., au comp- tant, dans quelles limites son cours sera-t-il probable- ment contenu dans deux mois d'ici, jour pour jour, et au comptant ?

Il faut voir si le détachement du coupon se fait dans l'intervalle.

S'il ne se fait pas, il ne faut tenir compte que de l'intérêt semestriel ; or, cet intérêt représentant exactement 0,50 c. pour deux mois, j'ajoute cet intérêt au prix de 75 fr., et j'ai 75 fr. 50. Je calcule l'écart probable pour deux mois, il est de 1,10 ^^2" = 1,55 à 1,56; j'ai par conséquent les limites de 73 fr. 94 et 77 fr. 06, entre lesquelles il y a une probabilité égale à - que le cours sera contenu.

Si le détachement du coupon a lieu dans l'intervalle de ces deux mois, j'observe que, indépendamment de l'in- térêt, le détachement du coupon, qui est de 0,75 cent. ('), doit diminuer d'autant le prix, et que ces deux causes réunies donnent une baisse de 0.25 cent. Je retranche 0,25 cent, du cours de 75 fr., et j'opère comme ci-dessus, ce qui me donne les limites de 73 fr. 19 et 76 fr. 31.

Tous les trois mois, la Rente se retrouvant dans des conditions identiques, l'écart doit toujours se calculer directement pour des échéances de trois mois, six mois, un an, ou multiples de trois mois.

(^) Depuis la conversion du 4 1/2 en 3 0/0, l'inttirêt delà rente est devenu trimestriel, et le coujjon se dctnche à la Bourse le 16 des mois de mars, juin, septembre et dt'comhre.

63

27. Jusqu'ici, nous nous sommes occupé exclusive- ment de la Rente, parce que c'est la valeur de prédilection de la spéculation, et cette préférence, elle la doit à l'étendue de son marché et aux facilités de négociation qu'elle présente ; cependant le jeu ne s'exerce pas unique- ment sur la Rente.

Ici se présente naturellement la question de savoir si les chances ne sont pas plus avantageuses sur quelqu'une de ces autres valeurs de spéculation.

Pour en faire la comparaison, il faut remarquer :

Que le courtage est plus élevé sur ces valeurs, et au lieu d'être fixe, est proportionnel aux prix d'achat et de vente.

Que les écarts moyens sont, selon la valeur, plus ou moins grands pour un même espace de temps.

Commençons par constater, à propos de la différence des courtages, qu'il y a toujours une certaine relation entre le temps moyen de liquidation d'une affaire et le taux du courtage qu'elle supporte. Combien de joueurs liquident une opération dans la bourse du même jour, au lieu d'attendre au lendemain, uniquement pour n'avoir qu'un seul courtage à payer ! Qui sait si tel qui reste huit jours sur une affaire ne la liquiderait pas au bout de deux jours, si on réduisait les courtages de moitié?

Toute diminution de courtage doit amener, chez le joueur, une liquidation plus active de ses opérations ; la moyenne dehquidation devait être autrefois, dans la cou- lisse, inférieure à celle du parquet; ce qui le prouve, c'est que les cours cotés s'y fractionnaient; le parquet lui- même, pour avoir réduit le courtage de la Rente de 25 à

-- (i

20 fr., a dCi descendre la cote des cours de cinq à deux centimes et demi.

Ce qui serait gagné d'un côté, serait donc perdu de l'autre.

Lorsque sur des valeurs différentes, le courtage n'est pas le même, il s'établit dans la manière dont se liquident les opérations sur chacune, une certaine compensation qui tend à rétablir l'équilibre.

On pourrait en dire autant de la grandeur des écarts. Les opérations faites sur le Crédit Mobilier se liquident beaucoup plus rapidement, à des intervalles de temps beaucoup plus rapprochés que les opérations sur le Midi, le Nord, l'Ouest, et toutes ces autres valeurs pour les- quelles les variations sont relativement faibles.

Il n'y aurait d'avantage relatif à spéculer sur le Mobi- lier plutôt que sur la Rente ou toute autre valeur, que si le joueur qui garde ses positions un certain temps sur la Rente-, les conservait un temps égal sur le Mobilier.

Mais au lieu de faire une opération tous les jours sur le Mobilier, qui empêche le joueur de n'en faire une que tous les deux jours sur la Rente?

On répondra qu'il faut des émotions vives et variées au joueur, des différences de perte et de gain se produisant rapidement, la fortune ou la ruine dans le moins de temps possible, et que rien n'est long comme l'attente. C'est aussi ce raisonnement qui porte instinctivement le joueur sur les valeurs qui, par la nature de leur constitution, l'incertitude de leurs produits, offrent le plus de part à l'incertain et présentent de plus grandes différences dans un même temps.

65 -

Mais sur la Rente, comme sur le Mobilier, comme sur toutes les autres valeurs, le spéculateur est toujours libre de /aire son jeic, de choisir à sa g*uise le rapport des chances favorables et contraires. La seule chose que le joueur ne puisse jamais faire, c'est de rendre ces chances égales. On pourrait, pour toutes les valeurs de spécula- tion autres que la Rente, établir des tableaux d'écarts comme celui que nous avons donné plus haut (parag\ 21), et, parleur comparaison, enverrait clairement que si, en opérant sur des quantités ég-ales ou équivalentes, eu ég-ard au montant des capitaux, le rapport des chances est diffé- rent pour un même temps, tout se réduit, pour rendre les chances identiques, à choisir convenablement un l'apport de temps dans la moyenne de liquidation.

28. Une autre considération qui se présente au sujet de la grandeur et de la fixité des écarts, c'est que les marcMs affiriie, offrent le moj'en de faire des opérations avec des écarts beaucoup plus grands que pour les affaires fermes. 11 est nécessaire d'ex})liquer succinctement ce qui a donné naissance à ces opérations, et en quoi elles con- sistent.

A la Bourse, dans les opérations ordinaires, la perte ou le gain possibles sont complètement indéterminés. C'est un trait distinctif des autres jeux, qui est loin d'être ici à l'avantage du joueur. On sait bien qu'en opérant sur 1 500, on risque moitié moins que sur 3 000, mais on ignore encore ses risques. Qui dit, lorsque le joueur se promet de liquider au-dessous de telle perte, qu'il en aura le

66 =

temps avant que cette perte soit décuplée? C'est pour pa- rer à cet inconvénient que l'on a imaginé le système des opérations à prime, cependant il n'y a que l'un des deux contractants qui puisse limiter sa perte.

La Eente est à tel prix. Je veux acheter, mais en même temps me prémunir contre une baisse qui dépasserait toutes mes prévisions; je stipule alors que, à une époque fixée d'avance, j'annulerai mon marché moyennant l'a- bandon d'une certaine somme, si cela me convient; la somme que je peux perdre s'appelle prime^ et c'est à l'époque fixée que se fera la réponse des primes.

Cet avantage, on le comprend, doit être payé par quel- que chose, et la rente que j'achèterai dans ces conditions, sera toujours plus chère que la rente ordinaire ; l'aug-men- tation du prix dépendra de deux circonstances : le mon- tant de la prime et l'époque de la réponse.

Les primes en usage sur la rente 3 %, sont de 1 fr. 0,50 cent., 0,25 cent, et 0,10 cent, du prix de la rente, à multiplier par conséquent par le tiers des quotités sur lesquelles on opère : sur les actions, la prime est de 10 fr. par action.

La réponse a lieu à la fin de chaque mois pour toutes les valeurs ; mais il y a encore une réponse au 15 pour les actions, et les primes de 0,10 cent, sur la rente se ré- pondent du jour au lendemain ou au surlendemain, etc. Les primes donnent lieu à une foule de combinaisons, se vantent d'exceller les habiles, d'opérations à primes contre primes , de primes contre ferme, pour des primes de différentes espèces et de différentes quotités.

29. Au point de vue du calcul des chances , le mar- ché à prime, tel qu'il est en usage à la Bourse ('), est une affaire dans laquelle l'un des deux contractants, l'ache- teur , limite sa perte , et l'autre , le vendeur , limite son bénéfice , en aug-mentant les probabilités de perte ou de bénéfice. De vient que plus la prime est petite, c'est- à-dire, plus la perte ou le bénéfice sont limités, plus elle est chère, c'est-à-dire, plus les probabilités de perte ou de bénéfice sont augmentées ; plus la réponse est éloignée et permet d'espérer ou de craindre un plus g-rand écart qui augmente le bénéfice ou la perte, plus encore la prime sera chère.

Dans l'affaire à prime le joueur fait donc varier un des facteurs qui exprime la perte ou le gain, en faisant varier proportionnellement l'autre facteur qui exprime la pro- babilité de cette perte ou de ce gain ; mais les produits decesdeuxfacteursdoiventtoujoursêtreégaux(parag. 14). Le cours des primes est surtout influencé par l'état présent du marché qui laisse entrevoir de plus ou moins grandes variations dans un temps rapproché ; mais comme ce cours n'est déterminé en définitive, comme celui du ferme, que par l'offre et la demande régulières , l'ég-alité relative n'est pas altérée, et il ne peut jamais y avoir d'avantage absolu à opérer sur primes.

Si l'acheteur à prime limite sa perte , il en augmente

(1) Au Stock-Exchange de Londres il se négocie encore des primes {options) qui engagent raclicteur à recevoir livraison du vendeur (put): le montant de l'écart est alors à diminuer du prix ferme; ou qui permettent d'exiger la livraison ou le paiement à volonté d'une cert-iine quantité de rentes à un prix déterminé [inU and call).

68

les cliduces, et s'il réalise parfois un bénéfice de quelque importance, ce bénéfice est toujours payé par l'abandon de plusieurs primes ; le vendeur, par contre, en aug-men- tant ses chances de bénéfice, les limite dans une égale proportion.

Les primes n'ont d'autre utilité que de varier un peu les combinaisons trop arides du jeu simple à la hausse ou à la baisse.

Mais le prix des primes n'est pas seulement déterminé par la probabilité mathématique , il est encore influencé par un élément entièrement étranger au calcul, qu'on pour- rait a\^])e\eY moral, surtout s'il se produisait dans un meil- leur but, qui est la certitude pour l'acheteur que sa perte ne dépasserajamaisun certain taux, certitude qui n'existe nullement dans les opérations ordinaires.

Si la Rente étant à 75 fr., j'achète dans des circon- stances ordinaires à 76 prime dont un, à un mois de date, je puis voir assez exactement que, en cas de baisse, c'est-à-dire dans le cas le prix serait au-dessous de celui de 75 fr, au moment de la réponse, je perds ma prime, 1 fr.; en cas de hausse, l'écart moyen de la rente étant 1,55, je gagme 1,55 1, ou 0,55 : je gagne de plus tout ce que je pourrai sauver de ma prime, ce qui est représenté par la probabilité que la rente se trouvera entre 75 et 76 fr., au moment de la réponse, à un certain écart moyen de 75 fr., et qui me donnera approximative- ment 0,30 cent. ; j'achète donc un peu plus cher que je ne devrais, je paie 1 fr. ce qui ne vaut mathémati- quement que 0,85 cent, environ ; mais qui peut pré- ciser en francs et centimes ce que vaut la tranquillité

69

d'esprit morale, dont je jouirai dans le courant du mois, en présence des plus brusques variations de la valeur, conservant presque toutes les émotions du gain, et ayant détruit d'avance celles de la perte, parle sacrifice anticipé de la prime ?

Voilà donc une cause constante qui tend à élever le prix des primes au-dessus de sa valeur mathématique, de telle sorte que le joueur qui n'achèterait jamais que des primes, tout en réalisant parfois des gains assez con- sidérables, et en tout cas infiniment i)lns calme et moins tourmenté que le vendeur qui, pour un petit gain, s'ex- pose à une perte considérable, doit cependant, en dehors des courtages qui suffiraient toujours à le constituer en perte, se trouver inévitablement en déficit au bout d'un grand nombre d'opérations.

Cette même cause fait encore qu'une petite prime est relativement plus chère qu'une grande, et qu'une prime à quinze jours, par exemple, est relativement moins chère qu'une prime à un mois.

30. En dehors de ces restrictions, quelquefois assez légères, la loi qui gouverne les écarts des primes, ou la différence entre leurs prix et ceux du ferme, est bien évi- demment une loi analogue à celle qui régit les écarts du ferme.

Par rapport à une autre, et à une même réponse, Vè~ cart d'une prime est en raison inverse des racines carrées des deux primes.

Une prime de 1 fr. valant 1 fr. d'écart, une prime de

70

0,50 c. vaudra uwpeicphis de ^2" ou 1,40 'd'écart, une

prime de 0,25 c. un peu plus de j/ï" ou 2 fr. d'écart;

une prime de 0,10 c. un peu plus de [/ÏÔ, ou 3,16 d'é-

1 cart; une prime de 2 fr. aurait un peu moins de j~r= ou

de 0,70 c. d'écart.

Par rapport à elle-même, V écart cVune prime est en raison directe de la racine carrée des temps qui la sépo.- rent de la réponse.

Une prime de 1 fr. valant 1 fr. d'écart à un mois de date, vaudra, dans les mêmes circonstances, îin peu moins de

1

ou 0,91 c. d'écart à 25 jours de date.

1/1,2 t

1

Vf

1

» 0,82 » à 20

>) 0,71 » à 15

» 0,58 » à 10

y> 0,41 » à 5

1/6

Dans ce dernier cas, la diminution est vraisemblable- ment proportionnelle au temps, c'est-à-dire que si on peut établir que la différence entre l'écart mathématique et l'écart réel est primitivement de 0,30 c, cette différence ne sera que de 0,25 c. à 25 jours, 20 c. à 20 jours, 15 c. à 15 jours, etc.

En définitive, un joueur qui n'opérerait jamais que sur les primes, à la condition cependant de vendre et acheter ég'alement, et un autre qui n'opérerait jamais que sur le ferme, obtiendraient au bout de l'année des résultats iden-

- 71

tiques, puisque les deux g-enres d'opérations sont g-revées des mêmes droits de courtages. Toute la différence serait que la compensation se ferait pour ce dernier entre de plus grandes sommes, et pour le joueur à prime entre de plus petites sommes de gains et de pertes.

Comme il serait indifférent à celui qui achète ou vend à prime, d'acheter ou vendre ferme pour le résultat der- nier de ses opérations, dans un grand nombre de coups, il doit être indifférent, dans l'estimation des chances, de confondre également les deux opérations en une seule.

31. Lorsqu'il existe une inégalité quelconque dans les conditions initiales d'un jeu, cette inégalité s'accroît rapidement et dans d'énormes proportions par la fré- quence ou la répétition des coups ; c'est cet accroisse- ment qui amène infailliblement, dans un temps donné, la ndne du joueur.

Pour rendre cette démonstration sensible, nous choisi- rons un joueur n'opérant que sur 1 500 fr. de rente, et se liquidant avec un écart constant de 0,40 c, c'est-à-dire réalisant sa perte ou son bénéfice chaque fois avec une différence de 0,40 centre ses prix d'achats et de ventes. Nous supposons que toute opération d'achat ou de vente paie courtage.

Chaque fois qu'il sera en bénéfice, il recevra 1(50 fr.; chaque fois qu'il sera en perte, il aura à débourser 240 fr.

Ces deux nombres sont dans le rapport de 2 à 3.

Ce joueur peut se considérer comme ayant affaire à un adversaire invisible dont les chances de gain et de perte

72

sont l'inverse des siennes ; chaque fois qu'il gagne 2 ou qu'il perd 3, son adversaire perd 2 ou gagne 3 ; rien n'empêche ces deux joueurs de rétablir l'égalité des mises et de stipuler que chacun d'eux gagnera à l'avenir une somme ég-ale, en faisant varier les chances de la gagner dans la proportion de 2 à 3, les conditions du jeu laissant chacun dans une situation aussi favorable ou défavorable qu'auparavant.

Les probabilités - de gagner 2 ou de perdre 3 sont mathématiquement égales aux probabilités - contre ^ de gagner ou perdre une même somme représentée par ?— t^ 2 '/2. En effet, les produits du gain et de la perte sont égaux dans les deux cas.

Nous pourrons, par ce moyen, nous rendre compte des chances qu'aurait un individu de perdre ou de gagner une même somme déterminée d'avance, de se ndner ou de douhler seulement sa fortune à la Bourse, cliances qui doivent toujours être égales dans un jeu égal.

Le joueur qui opère sur 1 500 fr. de rente avec un écart constant de 0,40 c. est dans la même position que s'il jouait une mise de 200 fr. à perdre ou à gagner à chaque coup, avec une chance de la gagner et une chance et demie de la perdre.

Si chacun ne risque que 200 fr., les chances de g-ain et de perte seront indiquées par ce rapport, et si long- temps que le jeu se prolonge, les chances, à chaque partie isolément., resteront dans le rapport primitif.

Mais ce serait une grande erreur de penser que

73

si le jeu se continue, les chances de chacun pour gagner un certain nombre de mises, de ruiner son adversaire, si le jeu se continue indéfiniment, resteront dans le rapport des chances à chaque partie.

Si l'enjeu dont chacun dispose est de 400 fr., ou s'il s'agit seulement d'avoir deux parties de plus pour ter- miner le jeu, il peut se faire que plusieurs parties soient jouées avant que le jeu soit terminé; mais rejetant toutes celles qui font une balance de perte et de gain, et qui ne servent qu'à prolonger la partie, il suffit, pour se rendre compte des probabilités de chacun, de comparer les chances qu'a chacun de gagner deux parties de suite. Or, les chances étant l'unité pour le premier, et 1,5 pour le second, en multipliant ces chances par elles-mêmes, on a toujours l'unité pour le premier, et 1,5 au carré ou 2,25 pour le second.

Le gain étant toujours exprimé par une chance, parce que 1, élevé à n'importe quelle puissance, donne tou- jours 1, les chances de perte du joueur défavorisé seront donc successivement, si chacun dispose de :

1 000 fr. 1,5 % ou 7 à 8

2 000 » 1,5% 57 à 58

3 000 » l,5'^ 438

4 000 » 1,5^ ....... 3325

5 000 « 1,5^ ,25251

6 000 » 1,5^«, 191750

7 000 . 1,5^ 1456100

8 000 y> l,5^ 11057 000

9 000 » 1,5^ 83966000

10 000 » 1,5='-', ..... 637620000

7.i

Tandis que le joueur favorisé n'ayant jamais qu'une chance de perte, ses chances de gain seront évidemment données par les chances de perte de son adversaire.

Il est facile de voir que chacun de ces nombres se forme du précédent en le multipliant par un facteur constant qui est ég-al au premier nombre, c'est-à-dire que les chances de perdre 1 000 fr. étant données, les chances de perdre un certain nombre de fois 1 000 fr. sont le pro- duit du nombre des chances de perdre 1 000 fr. multiplié successivement autant de fois par lui-même.

En général, les chances de deux joueurs, pour gagner un même nombre de mises, sont dans le rapport des chances primitives de chacun élevées à la puissance re- présentée par le nombre des mises (').

33. Il devient évident dès lors que la probabilité de se ruiner, comparée à celle de doubler seulement sa for- tune, dans un jeu inégal, dépend essentiellement du rapport de la mise, à chaque coup, à la fortune totale.

Celui qui, possédant seulement 1000 fr., n'opérerait jamais que sur 1500 fr. de rente, avec un écart constant de 0,40 c. à perdre ou à gagner, aurait une chance pour gagner contre 1,5^ chances pour perdre, c'est-à-dire qu'on pourrait parier de 7 à 8 contre 1 qu'il se ruinera avant d'avoir doublé son capital.

Le résultat ne changerait pas pour celui qui, avec un

{^) Voir la solution du problème d'Huygliens, parBcrnouUi, Montmort, Moivre, etc.

- 75 -

capital de 2000fi'., opérerait sur 3 000 fr. de rente, avec un capital de 4000 fr., opérerait sur C 000, ou avec un capital de 10 000 fr. opérerait sur 15 000.

Mais si celui qui ne possède que 1 000 fr, faisait une seule opération sur 7 500, ses chances deviendraient dans le rapport des différences nettes, 800 et 1 200, ou comme 1 àl,5, tandis que si celui qui possède seulement 10 000 fr. n'opérait que sur 1500 fr. de rente dans les mêmes con- ditions, il aurait, pour une chance de doubler son capital, 1,5^°, ou plus de 637 millions de chances de se ruiner.

Ainsi, pour un même écart de liquidation, en augmen- tant et faisant varier le rapport de la somme risquée à la fortune totale, soit qu'on diminue les quotités d'opéra- tions, soit qu'on considère des fortunes de plus en plus grandes, soit enfin qu'on combine ces deux causes, la probabilité de se ruiner, comparée à celle de doubler sa fortune, peut prendre des proportions de plus en plus faibles ou de plus en plus considérables.

Si l'on considère des quotités égales d'opérations, on peut rendre les probabilités aussi grandes ou aussi petites que l'on veut, en faisant varier les écarts de liqui- dation et les fortunes, ou les sommes qu'il s'agit de perdre ou gagner.

Exemple : Supposons un joueur n'opérant jamais que sur 3 000.

Pour rendre ses chances de perte les plus petites possi- ble, on diminuera indéfiniment les sommes qu'il s'agit de perdre ou g-agner, et on augmentera les écarts.

S'il ne faut seulement que gagner 2000 fr. en opérant avec un écart de 2 fr., les chances sont dans le rapport

Io- des différences présentées par une opération unique, comme 1 920 à 2 080, ou 1 à 1,083.

Pour rendre les chances de perte les plus grandes pos- sible, on augmentera les sommes qu'il s'agit de perdre ou gagner, et on diminuera les écarts.

S'il faut gagner ou perdre 40000 fr., en opérant avec des écarts de 0,40 c, on a déjà un nombre de chances de perte égal à 1,5'°", ou composé de 18 chiffres.

Si l'on considère des sommes ou des fortunes égales, on peut rendre de même les probabilités aussi grandes ou aussi petites que l'on veut, en faisant varier les écarts de liquidation et les quotités moyennes d'opérations.

34 Les calculs précédents se rapportent à un écart de liquidation constant, restant toujours le même. Mais, en réalité, on ne trouve peut-être pas de joueur qui se li- quide constamment avec un écart invariable de perte ou de bénéfice; quand même il le voudrait, il ne serait em- pêché par l'irrégularité des cours.

L'écart de liquidation est donc essentiellement va- riable.

Si cependant cet écart ne variait que d'une manière parfaitement régulière et continue, ce qui ne pourrait avoir lieu que si l'écart probable et l'écart moyen se confondaient entièrement (parag. 21), toute différence dans un écart serait rigoureusement compensée par une différence opposée ; les probabilités, variables pour cha- que affaire isolément, seraient ramenées à l'équilibre sur un ensemble d'opérations.

On doit comprendre que c'est le raffort de l'éccUt pro- bable à l'écart moyen qui modifie ces probabilités.

En effet, si le mouvement des cours est irrégulier, la compensation des écarts fortuits ne se fera plus aussi bien, et ils auront une tendance à se manifester toujours du même côté, circonstance qui est à l'avantage du joueur, puisque les différences que ses opérations peuvent pré- senter seront d'autant plus grandes que la compensation des écarts se fera moins bien.

Pour deux différences égales et indépendantes, il n'y a jamais qu'une probabilité \ de les voir se rencontrer dans le même sens ; mais si, pour une différence nulle, le mon- tant de deux différences se rencontre à coup sûr du même côté, si l'écart probable est moitié de l'écart moyen, les chances du joueur, beaucoup moins défavorables pour une même somme, redeviennent cependant les mêmes que si l'écart était régulier, dès qu'on suppose doublée la somme qu'il s'agit de perdre ou gagner.

On pourra toujours tomber sur les mêmes probabilités, quelle que soit l'inégalité des cours, en multiplùuit les premières sommes par le rapport des écarts.

35. A la Bourse, nous le savons, le rapport des écarts est de 1 à 1 ,4.

Le tableau suivant présentera donc les chances de per- dre ou gagner un capital de 10 000 fr. à la Bourse, en sup- posant des écarts constamment égaux aux écarts moyens, de perdre ou gagner en réalité ime même somme qui, jwo- hahïement^ ne dépassera pas 14 000 fr.

CHANCES DE PERDRE OU

UNE MÊME SOMME, d'uNE

14 000

Temps DioyfB

DIFFÉRENCfî

G; in ^ !

Pour me chance de

de liqiiid.

sur

nombres suivants^ suivant

(jours).

1500 fr. Rt<^

Terle =^

1,500

100,05

1,4997

390 000 000 000 000 000

1

141,50

1,7882

689 000 000 000 000 000

2

200,10

1,4997

625 000 000

3

245,10

1,3900

684 000

4

283

1,3292

23 300

5

316,40

1,2894

3 083

6

346,60

1.2609

803

7

374,35

1,2392

308

8

400,20

1,2221

150

9

424,50

1,2081

86

10

447,45

1,1963

55

11

469,30

1,1864

38

12

490,15

1,1777

28

13

510,15

1,1702

22

14

529,40

1,1635

17

15

548

1,1575

14

16

566

1,1521

12

17

583,40

1,1472

10,50

18

600,30

1,1428

9,24

19

616,75

1,1387

8,21

20

632,80

1,1350

7,38

21

648,40

1,1315

6,72

22

663,70

1,1283

6,16

23

678,60

1,1253

5,69

24

693,15

1,1225

5,30

25

707,45

1,1199

4,95

26

721,50

1,1174

4,68

27

735,25

1,1151

4,40

28

748,70

1,1129

4,17

29

762

1,1108

3,97

30

775

1,1088

3,79

19

GAGfJER, A LA BOURSE

VALEUR PUOBABLE DE

FRANCS.

r.nin, les chances de Perte sont représentées par les qu'on opère sur des quotités moyennes de :

3,000 I 6,000 I 12,000

158

170 13 5,36 3,52 2,73 2,31 2,05 1,87 1,74 1,65 1,57 1,52 1,47 1,43 1,39 1,37 1,34 1,32 1,30 1,28 1,27 1,26 1,24 1,23 1,22 1,21 1,20 1,196 1,188 1,181

625 000 000

25 000

830 000 000

28 800

25 000

158

827

29

153

12

56

7,45

28

5,32

18

4,19

12

3,50

9,27

3,04

7,39

2,72

6,16

2,48

5,30

2,30

4,66

2,10

4,18

2,04

3,78

1,95

3,49

1,87

3,24

1,80

3,04

1,74

2,86

1,69

2,72

1,65

2,59

1,61

2,48

1,58

2,39

1,54

2,30

1,52

2,22

1,49

2,16

1,47

2,10

1,45

2,04

1,43

1,98

1,41

1,95

1,40

30,000

7,58

7,80

2,75

1,96

1,65

1,49

1,40

1,33

1,28

1,25

1,22

1,20

1,18

1,17

1,15

1,14

1,13

1,125

1,117

1,111

1,105

1,100

1,095

1,091

1,087

1,083

1,080

1,077

1,074

1,071

1,069

80

86. Les trois colonnes de gauche présentent : la pre- mière, le temps mo3^en de liquidation ; la seconde, la dif- férence brute sur J 500 fr, de rente; la troisième, le rap- port de la perte ou gain sur cette difîerence : ces trois colonnes sont la reproduction des première, quatrième et dernière colonnes du tableau des différences (parag. 22).

Pour trouver les nombres de la colonne qui suit, expri- mant le nombre des chances de perte pour une de gain, en n'opérant jamais que sur 1 500, on divise la somme qu'il s agit de perdre ou gagner, 14 000, d'abord par 1,4, ce qui donne constamment 10 000, puis on divise 10 000 par les nombres de la seconde colonne, et le quotient in- dique le nombre probable d'opérations ou de coups qu'il faudra jouer; on élève ensuite la chance de perte à cha- que coup à la puissance re}!résentée par le nombre total des coups, et comme la chance de gain reste toujours l'u- nité, qui élevée à quelque puissance que ce soit, est tou- jours l'unité, le dernier nombre obtenu indique, pour une chance de gain, quel est le nombre définitif des chances de perte.

Pour trouver le nombre des chances de perte, si on opère sur des quotités moyennes de 3000 fr., 6 000 fr., 12 000 fr., 30000 fr. de rente, etc., on multiplie les nom- bres de la seconde colonne par 2, par 4, par 8, par 20, puisque 1 500 est compris autant de fois dans ces diverses quotités, et on opère sur les produits comme précédem- ment.

La colonne qui donne le nombre des chances de perte quand on opère sur 1 500, pour une somm.e de 14 000 fr. donnera ép-alement les chances de perte, si on opère

81

Sur 3 000, pour une somme de 28 000 fr. » 6 000, » 56 000

» 12000, » 112000

» 30 000, » 280 000

ou sur des quantités directement proportionnelles aux sommes qu'il s'agit de gagner.

Les chances de perte pour une somme de 1 4 000 f r. quand on opère sur 3 000, seront les mêmes

Sur 1500, pour une somme de 7000 fr. » 6 000, » 28000

.) 12 000 )) 56 000

» 30 000 » 140000

Les chances de perte pour une somme de 14 000 fr. quand on opère sur 6 000, seront les mêmes

Sur 1500, pour une somme de 8500 fr. » 3000 » 7000

» 12 000 » 28000

» 30 000 » 70 000

Les chances de perte pour une somme de 14 000 fr. quand on opère sur 12 000, seront les mêmes,

Sur 1 500, pour une somme de 1 750 fr. » 3 000 » 3500

,) 6 000 » 7 000

., 30 000 » 35 000

Les chances de perte pour une somme de 14000 fr. quand on opère sur 30 000, seront les mêmes,

Sur 1 500, pour une somme de 700 fr. » 3 000 » 1400

» 6 000 » 2800

« 12 000 » 5 600

6

82

37. Le joueur qui n'opérerait jamais que sur 1 500 fr. de rente, et liquiderait chacune de ses opérations dans la même bourse, pour une chance de gain qu'il aurait de gagner une somme probable de 14 000 fr., aurait un nombre de chances de perte exprimé par dix-Jmit chiffres.

Celui qui, n'opérant jamais que sur 1 500, liquiderait toujours le lendemain chacune de ses opérations, aurait un nombre de chances de perte exprimé par le même nombre de chiffres, mais encore plus considérable, 689 000 000 000 000 000, approximativement.

Ce dernier nombre est compris entre la 59'' et la 60^ puis- sance de 2.

La probabilité qu'il y aurait de gagner seulement 14 000 francs dans ces conditions, est plus faible que la probabilité qu'il y aurait de retirer une à une, d'une urne composée d'une iniînité de boules blanches et noires en quantités égales, 59 boules blanches de suite.

Ce sont de véritables impossibilités.

Quand même on pourrait faire dix mille expériences ou dix mille tirages par jour, un événement de ce genre ne se présenterait pas une fois en un milliard de siècles.

Les chances de gain et de perte sur une même somme restant constamment les mêmes, la somme qu'il s'agit de gagner ou perdre, égale à 14 000 fr. environ dans des circonstances ordinaires, peut varier dans des limites très-étendues qui dépendent principalement des condi- tions exceptionnelles de la spéculation.

Ainsi, dans les moments de marasme et de stagnation, alors que les variations dans les cours sont insignifiantes, cette somme sera nécessairement moindre, et si les varia-

s:\

tions diminuent, par exemple, de moitié, les mêmes pro- babilités se présenteront sur une somme quatre fois moindre.

Au contraire, dans les moments la spéculation sera beaucoup plus active, et les variations plus grandes, cette somme devra être plus élevée, et si les variations aug- mentent du double, les mêmes probabilités ne se présen- teront que sur des sommes quatre fois plus grandes, en divisant ou multipliant toujours les sommes par les car- rés du nouveau rapport des variations.

Quelque g-randes et quelque irrégulières que soient les variations, non-seulement ou pourra toujours trouver des sommes assez fortes pour rétablir le rapport des chances, mais on j)OîLrTa toicjours trouver des sommes assez fortes 'pour que, dans tous lescas^ les chances de perte deviennent infiniment grandes.

Il n'est pas inutile de faire observer que l'intérêt per- manent du joueur est de voir augmenter l'écart des va- riations, et en même temps de voir augmenter le rapport qui lie l'écart probable à l'écart moyen : ces deux condi- tions dans lesquelles il diminue le plus ses chances de perte, sont précisément celles qui apportent le plus de trouble aux affaires et qui nuisent le plus aux véritables transactions.

38. La fortune d'un joueur étant donnée, ainsi que ses quotités moyennes d'opérations et son écart moyen de liquidation, il devient possible maintenant de déter- miner ses chances de perte et de gain, et ce que l'on

84

pourrait parier qu'il perdra une certaine somme avant de la gagner, qu'il se ruinera avant d'avoir doublé sa fortune. Il faut pour cela :

Calculer la différence produite par l'écart de liqui- dation sur la quotité moyenne d'opérations.

Diviser par 1,4 le montant de la fortune totale, ou la somme qu'il s'agit de perdre ou gagner, et diviser le quotient par cette différence.

3" Elever le rapport de la perte à l'unité pour gain, à chaque opération, à la puissance donnée par le dernier quotient, ce qui devient très-facile avec une table do logarithmes.

Exemple : Un joueur possède 70 000 fr; il opère tou- jours sur 15 000, ou sur des quotités qui donnent 15 000 fr. de rente pour la moyenne de chaque opération, et il se liquide dans des temps qui donnent 0,40 c. pour l'écart moyen de chacune.

L'écart de liquidation donne une différence de 2 000 fr. pour 15 000 de rente.

S'il ne s'agit que de gagner 10 000 fr., je divise 10000 par 1 ,4, ce qui donne 7 143, et je divise cette dernière somme par 2000, ce qui donne 3,5715.

En cas de gain, la différence 2 000 se réduit de 400 fr. de courtages, et devient 1 600 ; en cas de perte, elle s'aug- mente d'autant, et devient 2400.

Le rapport de la perte au gain pour unité étant ^^ ou 1,5, j'élève ce rapporta la puissance 3,5715, ce qui donne 4,25.

On pourrait parier plus de 4 contre un que le joueur perdra 10 000 fr. avant de les gagner.

85 -

On trouverait de la même manière que l'on peut parier :

18, 10, ou plus de 18 contre 1 qu'il perdra 20 000 fr. avant de les gag-ner.

159 contre 1 qu'il perdra 35 000 fr. avant de les gagner.

1395 contre un qu'il perdra 50 000 fr. avant de les ga- gner.

25 251 contre 1 qu'il sera complètement ruiné avant d'avoir doublé sa fortune.

Tous ces nombres pourraient encore se déduire les uns des autres, en élevant chacun à la puissance représentée par le rapport de l'augmentation des sommes.

39. On trouve certainement peu de joueurs qui observent une si grande régularité dans leur jeu, qu'ils n'opèrent que sur des quotités égales, encore moins avec des écarts égaux ; mais quelque variées que soient leurs opérations et leurs écarts, elles sont toujours ramenées d'une manière très-simple aux moyennes que représen - tent toutes les quantités, et il serait complètement indif- férent aux joueurs, surtout sur un grand nombre d'opé- rations, d'opérer exclusivement sur ces moyennes ; le contraire supposerait que les plus grands écarts s'appli- queront toujours aux plus fortes quantités, ou toujours aux plus faibles, ce qui formerait un système préconçu que rien ne peut motiver, et nullement admissible.

Toutes les combinaisons imaginées par un joueur con- sistant à aug*menter ou diminuer la quotité de ses opéra- tions, à augmenter ou diminuer le temps de liquidation de ses affaires et ses écarts, à opérer sur telle ou telle

86

valeur, ont pour effet de faire varier incessamment ses chances de gain et de jperte, de les augmenter ou dimi- nuer dans des rapports variables, mais seulement en raison de la somme dont il dispose pour alimenter son jeu, et ces rapports ne font qu'osciller autour des rapports fixes déterminés de la manière qui précède.

Pour connaître ces moyennes, dont la détermination est la seule chose importante, le plus simple est de remonter à l'observation des opérations antérieures, et rien n'est plus facile que de calculer sur les comptes d'un joueur les moyennes des écarts et des quotités de ses opérations; seulement il faut observer que, pour que l'on puisse compter deux courtages sur les moyennes obtenues, il faut, pour toutes les opérations il n'y a qu'un cour- tage à payer, doubler les écarts, et diminuer de moitié la quotité des opérations, ce qui revient à peu près à multi- plier les écarts par I/2".

Souvent un joueur systématique se trace un plan dont il ne s'écartera pas pour la conduite de ses opérations ; dans ce cas, il lui est possible de calculer exactement ses chances avant d'avoir engagé une seule affaire.

40. Beaucoup d'autres questions, du genre de la pré- cédente (parag. 38), pourraient être résolues, mais elles sont plutôt du ressort de la théorie que d'une application suivie.

On pourrait, par exemple, demander ce qu'il y a à parier qu'un joueur sera ruiné avant d'avoir gagné telle somme déterminée d'avance.

87

On pourrait encore demander quelle somme on peut parier, à ég-alité de chances, qu'un joueur g-agnera ou ne g'agnera pas avant d'avoir perdu telle autre somme déterminée d'avance.

Comme la démonstration des règles au moyen des- quelles on peut résoudre ces calculs est longue et labo- rieuse, qu'elle nous écarterait du plan que nous nous sommes tracé, nous laissons à la pénétration du lecteur le soin de les découvrir, et nous nous bornerons à énoncer les résultats dans un cas précisé , celui que nous venons de prendre, d'un joueur qui, possesseur de 70 000 fr., opère sur 15 000 avec un écart moyen de 0,40 cent.

Au sujet de la première question, on pourrait parier :

3,25, ou plus de 3 contre 1 que ce joueur sera ruiné avant d'avoir gagné 10 000 fr.

17,11 , ou plus de 17 contre 1 qu'il sera ruiné avant d'avoir gagné 20 000 fr.

158 contre un qu'il sera ruiné avant d'avoir gagné 35000fr.

1 394 contre un qu'il sera ruiné avant d'avoir gagné 50 000 fr.

41. Au sujet de la seconde question, on pourrait parier un contre un ou à égalité de chances :

Qu'avant d'avoir perdu 10 000 fr. , ce joueur n'aura pas gagné une somme dépassant 3 925 fr.

Qu'avant d'avoir perdu 20 000 fr., il n'aura pas gagné une somme dépassant 4 591 fr.

8S

Qu'avant d'avoir perdu 35 000 fr. , il n'aura pas g'ag-né une somme dépassant 4 769_fr.

Qu'avant d'avoir perdu 50 000 fr., il n'aura pas ^agné une somme dépassant 4 784 fr.

Enfin, qu'avant d'être ruiné, il n'aura pas gagné une .somme de plus de 4 787 fr.

Toute la fortune du joueur qui opère dans ces condi- tions, est l'équivalent d'une somme de 4 787 fr.

Dans cette question, les sommes que peut posséder le joueur n'augmentent plus sensiblement au-delà d'un cer- tain chiffre, les probabilités qu'il peut avoir de gagner une somme déterminée ; car dans l'exemple présent, quand même il posséderait 100 millions, on pourrait en- core parier un contre un qu'il ne sera jamais en gain de plus de 4 788 fr.

Les quotités d'opérations ag-issent dans une mesure plus étendue et plus uniforme sur ses gains probables, et si avec une fortune de 70 000 fr. et des écarts moyens de 0,40 cent. , il quadruplait les quotités sur lesquelles il opère en les élevant à 60 000, on ne pourrait pas pa- rier plus de 1 contre 1, que ses gains ne dépasseront pas 18 832 fr.

Mais c'est surtout l'augmentation des écarts qui favo- riserait le joueur : et s'il quadruplait les siens, en opé- rant sur 15000, avec 1 fr. 60 d'écart, ou ne pourrait pas parier plus de 1 contre 1 que ses gains ne dépasse- ront pas 42 784 fr.

42. Dans tout jeu inégal, la répétition des coups

89

augmente très-rapidement, et dans des proportions véri- tablement incroyables, les probabilités de perte du joueur défavorisé; à la Bourse, cette augmentation prend un accroissement encore plus rapide, parce que les deux causes principales qui établissent l'inégalité, s'ajoutent dans leur combinaison.

La première est la répétition même des coups néces- saires pour arriver à gagner une même somme, lorsque l'écart de liquidation ou le montant des différences dimi- nue, et que l'inégalité reste constante.

Dans tous les jeux de basard, le droit de la banque l'esté toujours proportionnel à la somme risquée ; l'iné- galité est alors constante : ce droit est de tant pour cent de la mise, et si les banques établissaient une distinction quant au montant des mises, ce serait bien certainement sur les plus fortes qu'elles prélèveraient les droits les plus élevés.

A la Bourse, c'est tout le contraire : le droit étant in- variable, quelle que soit la différence de gain ou de perte réalisée, c'est sur les petites différences, sur les plus fai- bles enjeux, que le droit est relativement le plus élevé, le plus onéreux.

Vous engagez une opération quelconque, sur 3 000 fr. de rente, par exemple; comme le droit de courtage est indépendant de la différence que l'opération pourra vous présenter, si cette différence est de 1 000 fr., les droits d'acbat et de vente, invariablement de 80 fr. représenteront 8 «/o ; si la différence est de 500 fr., ces droits représenteront 16 "/o ; si la diff'érence est de 100 fr., ces droits représenteront 80 °/o. Enfin, si la différence est

90

de 80 fr., les droits absorberont toute la mise, et vous ne pourrez jamais g-ag-ner ; si la différence est moindre, les droits absorberont au-delà de la mise, et vous ne pourrez jamais que perdre !

C'est la plus ironique antithèse de Vimpôt progressif.

Si on ne considérait que l'inégalité primitive résultant de ces conditions, entre les chances favorables et défavo- rables, on serait fondé, au milieu de cette innombrable variété de jeux de hasard auxquels les hommes se sont livrés de tous temps, à regarder le jeu à la Bourse, comme le plus désastreux, comme le plus détestable que la pas- sion ait pu inventer.

Ce qui diminue un peu cette inégalité, c'est l'impossi- bilité presque absolue de jouer un très-grand nombre de coups en peu de temps, car tandis qu'à la roulette, on peut jouer facilement quatre et cinq cents coups par jour, le boursier le plus obstiné est souvent forcé de rester un ou deux jours dans l'inaction, s'il ne trouve pas à se liquider convenablement. La grande inégalité des chances à la Bourse est, en partie, compensée parle plus petit nombre des coups que l'on peut y jouer.

43. De quelque manière que l'on opère, les chances de gain et de perte ne peuvent jamais être égales, et les dernières sont toujours les plus fortes ; le gain ayant constamment îme chance pour lui, l'augmentation des chances de perte est nettement déterminée par trois éléments qui font suivre une même loi à cette aug- mentation.

01

1" Les sommes risquées.

Les chances de perte s'élèvenô à la puissance donnée par le rapport direct des fortunes. Toutes clioses égales d'ail- leurs, pour des sommes ou des fortunes doubles, triples, quadruples, le nombre des chances de perte s'élève à la seconde, à la troisième, à la quatrième puissance , s'il s'agit de gagner une somme égale à la fortune.

2" La quotité des opérations moyennes.

Les cJiances de perte s'élèvent à la pîmsance donnée par le ra'pport inverse des qiootités. Celui qui n'opère que sur 30 000 fr. de rente ayant un nombre déterminé de chan- ces de perte, celui qui n'opère que sur la moitié, 15000, a pour chances de perte le carré du premier nombre, etc.

Le désavantage présenté par la petitesse des opérations n'est réel, il faut bien le remarquer, que s'il s'agit de ga- gner une même somme. Ce désavantage serait nul s'il ne s'agissait que de gagner des sommes proportionnelles. Mais du moment que le jeu est continué indéfiniment, le joueur qui préfère de petites opérations à de plus grandes, fait un très-mauvais calcul. Gagner peu pour perdre 'pei^, est un aphorisme qui n'est vrai tout au plus que si les chances du jeu sont égales.

44. B*' Le temps de liquidation, et par suite l'écart.

LES CHANCES DE PERTE S'ÉLÈVENT A LA PUISSANCE DONNÉE PAR LE RAPPORT INVERSE DES TEMPS.

Ainsi, celui qui se liquide dans uu temps moitié moiu-

92

dre, élève le nombre de ses chances de perte au carré, celui qui se liquide dans un temps trois, quatre, ou cinq fois, moindre, les élève au cube, à la quatrième, cin- quième puissance, etc.

Si le temps diminue dans le rapport de 7 à 10, qui ne donne pas un nombre entier, il faut élever le nombre des chances de perte à la puissance ou 1,42857.

Si le temps augmente, on a toujours des puissances fractionnaires moindres que l'unité, ce qui veut dire qu'il faut extraire une racine.

Cette loi se trouve modifiée dans une certaine mesure pour des espaces de temps très-courts, parce qu'alors les chances de perte à chaque coup ne sont pas tout à fait dans le rapport énoncé (parag. 23). Mais cette différence augmente encore les chances de perte du joueur qui se liquide dans un temps moindre.

Par suite de la similitude de ces lois et de leur combi- naison, on peut, pour une même somme, augmenter ou diminuer à volonté la quotité moyenne de ses opérations en diminuant ou augmentant par contre, dans les mêmes proportions, le temps moyen employé à sa liquidation, sans faire varier sensiblement ses chances de perte. Celui qui ferait une opération tous les cinq jours sur 3 000, ayant, pour gagner 14 000 fr., 56 chances de perte contre une de gain, celui qui ferait une opération tous les dix jours sur 1 500, aurait 55 chances de perte, ou seulement une de moins que le premier. (Voir au tableau.)

Le rapport de la mise à la somme totale, déterminé par les deux premiers éléments, est la seule cause agissante dans tous les jeux de hasard le droit, déterminé d'à-

93

vance, est de tant pour cent de la somme risquée. La der- nière cause, Vaction dio temps, pour modifier les chances, la plus remarquable et la plus caractéristique, est toute particulière au jeu qui s'exerce à la Bourse.

45. En résumé, pour comparer exactement le plus ou moins de chances qu'il y a de perdre ou gagner h la Bourse, il faut considérer trois éléments.

\^ Plus le jeu est continué longtemps, ou en d'autre? termes, plus les sommes à perdre ou à gagner sont grandes ;

Plus les quotités sur lesquelles on opère sont petites;

Plus le temps moyen de liquidation est court.

Et plus les chances de perte sont nombreuses.

Au contraire :

Plus les sommes à perdre ou à gagner sont petites;

}i° Plus les quotités sur lesquelles on opère sont grandes,-

S^ Plus le temps moyen de liquidation est éloigné,

Et moins les chances de perte sont nombreuses.

La probabilité de perte étant dans tous les cas supé- rieure à - , peut passer, lorsque l'on fait varier ces trois éléments, et qu'on les combine convenablement, par tous les degrés voulus compris entre ' et l'unité, depuis le doute jusqu'à la certitude presque absolus.

Pour l'augmentation ou la diminution que l'on peut faire subir à chacun de ces éléments, la loi de variation des chances de perte est toujours celle de l'extraction des racines, ou de l'élévation aux puissances.

U

4G. Ainsi que nous l'avons déjà énoncé (par. 14), il n'est aucune méthode de gagner plus ou moins sure au jeu, ou de gagner sûrement une somme si jîetite qu'elle soit, les probabilités premières restant invariablement les mêmes, à chaque partie isolément, et laissant toujours subsister l'inégalité, lorsqu'elle résulte des conditions primitives du jeu; la conduite la plus simple à tenir, dictée à la fois par l'expérience et le bon sens, serait donc de ne jamais s'ex- poser au jeu, et quand on a eu le malheur de se laisser aller à ses séductions trompeuses , il est toujours temps de s'arrêter sur la pente de sa propre ruine ; mais il y aurait une manière certaine et qui résulte claire- ment de la théorie même du jeu, de diminuer autant que possible ses chances de perte, si une fois qu'on s'est mis au jeu, on était bien décidé à ne plus le quitter tant qu'on pourra le tenir : ce serait évidemment de jouer le moins de coups possible, de risquer immédiatement tout l'enjeu dont on dispose, de livrer en une seule fois sa fortune toute entière aux hasards du sort, de ne faire enfin quîme seule opération , mais de la faire la plus forte pos- sible.

Si le jeu est incessamment répété, s'il doit être prolongé indéfiniment, comment voulez-vous, ô joueurs, qu'ilfinisse autrement que par votre ruine ? Quand même vous arri- veriez à doubler, tripler votre fortune, vous n'avez rien terminé, et cet adversaire invisible, mystérieux, qui tient votre partie à la Bourse, doit être considéré, par rapport à vous, comme possédant une fortune infiniment gTande ; or, sachez-le bien, dans ce cas, si petite que soit l'inég-a- lité bien plus, quand même les chances seraient stricte-

05

ment égales, vous auriez toujours une CERTITUDE AB- SOLUE d'être ruinés.

47. Il est même possible de prévoir le moment s'effectuera la ruine du joueur ; car en ne faisant consister l'inégalité que dans le courtag-e, si on admet, comme la supposition la plus vraisemblable, que les gains et les pertes se balancent, le montant des courtages, à lui seul, doit nécessairement absorber à un moment donné la coîi- vertuo'e du joueur.

La règle tirée de cette supposition, sera d'autant plus précise que le courtage sera une partie plus notable de la différence ; s'il n'en était qu'une faible partie, les fluctua- tions de perte ou de gain pourraient encore avancer con- sidérablement ce moment.

Le droit de courtage est généralement de ^'g pour o/°, ou pour les affaires de jeu comme pour les affaires sérieu- ses ; mais pour ces dernières, le droit est pris sur un ca- pital réel; pour les premières, le droit est pris sur un ca- pital presque entièrement ^c^ï/.

Il en résulte que si la couverture du joueur ou la somme qu'il peut perdre représente, par exemple, le vingtième des capitaux sur lesquels il opère chaque fois, le droit de courtage à ^\^ pour "/o représente pour lui, en réalité, vingt fois plus, ou deux et demi pour cent.

Par conséquent, la perte et le gain se balançant, il ne faudra pas plus de quarante opérations en moyenne pour absorber la couverture du joueur ou faire qu'il ne lui reste rien.

- or> -

Sur la rente cependant, le courtage ne représentant pour les opérations à terme que ~^ pour cent au cours de 64 francs, i au cours de 72, et 1 au cours de 80, il fau-

18 20

drait entre ces cours, un peu plus du double d'aflFaires, de 80 à 100 tout au plus, pour absorber la couverture.

Si le joueur met, par exemple, deux jours entre cha- cune de ses affaires et sa liquidation, il faudra, dans le premier cas, 40 X 2 ou 80 jours; dans le second cas, de 80 X 2 à 100 X 2, ou de 160 à 200 jours, pour consom- mer sa ruine.

C'est le rapport du capital sur lequel ses opérations sont engagées, ou que réprésente la moyenne des quoti- tés sur lesquelles il opère, au montant de la couverture ou du capital réel dont dispose le joueur, qui, multiplié par la moyenne des jours qu'il laisse entre chacune de ses opérations, déterminera le nombre total des jours ou le temps dans lequel il y a chances égales qu'il sera ou ne sera pas ruiné.

Le droit de courtage est insignifiant pour le spécula- teur qui n'opère qu'au comptant ou avec les capitaux en mains, ce droit est énorme, onéreux, il est fatalement rui- neux pour le joueur qui n'opère que sur des capitaux fictifs.

48. Les quelques fortunes qui se sont faites et se font encore à la Bourse, nous l'avons déjà dit, sont dues uniquement à la position personnelle ou aux relations sociales de leurs possesseurs qui sont à même de péné- trer le secret d'événements dont l'annonce doit influer sur

97 -

les cours, et qui ne se servent que trop souvent de leur position pour jouer presqu'à coup sur. Par exemple, un administrateur qui connaît k fond la situation de la com- pagnie dont les intérêts lui sont confiés, à la veille de dé- créter une mesure qui aura pour effet de produire une forte hausse ou une forte baisse, hésitera-t-il souvent à placer l'intérêt personnel au-dessous de celui de ses com- mettants, quand cela lui est si facile sans être connu?...

Mais à la Bourse comme ailleurs, on peut appliquer le proverbe, tricher n'esl pas jouer, et l'origine impure de pareilles fortunes est plutôt une preuve éclatante qu'un démenti, de l'impossibilité dejamais acquérir une fortune honnête par le jeu.

Quand vous entendrez dire parfois qu'un tel a fait une fortune à la Bourse, tâchez de pénétrer exactement dans toutes les causes, et votre surprise ne sera jamais de longue durée.

Il est encore un moyen de gagner à coup sûr, mais à la portée de peu de monde : c'est d'avoir assez de crédit pour engager des sommes d'opérations tellement impor- tantes, qu'elles exercent une véritable influence sur le marché. Non parce que de fortes quantités de ventes et d'achats produisent par elles-mêmes un mouvement pro- noncé, car l'action produite dans un sens serait annulée par la réaction contraire ; mais parce que dès que l'on est assez fort pour ébranler le marché, la tombe inquiète et moutonnière des petits spéculateurs se met aveuglément à la remorque et continue le mouvement commencé.

Parfois encore, un joueur aussi audacieux, mais plus coupable, lancera traîtreusement dans l'ombre l'annonce

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d'une fausse nouvelle qui, ne pouvant être vérifiée sur-le- champ, aura pour effet d'occasionner une panique géné- rale au milieu du troupeau ; la vérité sera connue le len- demain, mais trop tard, et le tour serajoué.

Quant aux joueurs honnêtes, qui ne sont qu'abusés, et qui rougiraient d'employer des moyens illicites, si quel- ques-uns parviennent à se soutenir momentanément à la Bourse, ce ne peut être, ainsi que nous l'avons démontré, que dans certaines conditions, dont la principale est d'opérer rarement : le petit spéculateur, avide et peureux, qui ne quitte pas d'une minute la corbeille de la Bourse, à laquelle il paraît accroché, à la fois dupe et victime, ne peut manquer d être un peu plus tôt ou un peu plus taid, dépouillé jusqu'à son dernier sou.

Le joueur sait cependant bien, en général, par l'exemple journalier des désastres de la Bourse, qu'il s'expose à consommer sa ruine ; malheureusement il fait une esti- mation fausse et beaucoup trop faible de ce risque, et il se flatte d'échapper tous les autres ont péri. N'est-ce pas leur faute après tout, et n'apporte-t-il pas un système raisonné qu'il saura conduire avec prudence et habileté, en se gardant de toutes les défaillances de la crainte, de tous les enivrements de l'espoir ? Il a tout étudié, tout prévu, il connaît à fond les ressources, les détours, les finesses de la spéculation. Hélas ! pourquoi ne sait-il pas que sa ruine prochaine, aussi bien prévue que les révo- lutions des planètes dans leurs orbites, est un effet inévi- table, nécessaire, des chances et de leurs combinaisons !

SECONDE PARTIE

SECONDE PARTIE

49. Si cinquante personnes, réunies autour d'un ta- pis vert, jouent entre elles toute une nuit sur la "rouge et la noire, toutes en se retirant le matin auront plus ou moins d'argent qu'en commençant le jeu ; il y aura eu échange, circulation, par conséquent spéculation, mais une spéculation entièrement improductive, car à la somme d'argent qu'elles possédaient toutes en commun, il n'aura été ajouté aucune utilité réelle, aucune augmentation de valeur.

Comme toute marchandise, les fonds publics, valeurs industrielles, sont soumis aux variations de l'offi-e et de la demande, en raison de la demande ou de l'offre des ca- pitaux : dans le premier cas, il y a baisse, dans le second cas, il y a hausse. Tant que ces oscillations ont une cause réelle dans l'état du crédit et le mouvement inverse et cor- respondant d'une partie des capitaux disponibles ou de

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capitaux dont le gage est assuré, la spéculation est ce qu'elle doit être dans son usage modéré.

Quand ces diverses variations n'ont pour cause qu'une variété du jeu, et pour résultat qu'un déplacement stérile d'une certaine somme ou enjeu d'une main dans une au- tre, alors commence l'agiotage ou l'abus de la spécula- tion.

Il y a donc deux espèces ou variétés de spéculations : l'une, et ce n'est pas la moins connue ni la moins répan- due, qui ose en usurper le nom, n'est que l'abus et le pa- rasite de la véritable spéculation, n'a en vue que l'appât du gain, opère sans ressources, crédit ni capitaux, ou ne possède du moins que les capitaux strictement nécessaires au règlement des différences sur lesquelles elle s'exerce ; elle prend toutes les formes, s'attache à la Production sans repos ni trêve ; pour exercer ses odieuses manœuvres, tout prétexte lui est bon; elle repose sur l'ignorance, la cu- pidité, la satisfaction des appétits brutaux, toutes pas- sions qui engendrent et caractérisent le jeu; elle est une honte et une souillure.

L'autre, qui mérite seule le nom de spéculation, pos- sède le talent de créer, édifier, transformer, en se propo- sant pour but l'utilité commune ; elle corrige les mouve- ments exagérés qu'une confiance aveugle ou une panique insensée produirait dans les cours, et sert le crédit en en- tretenant un équilibre constant entre les diverses valeurs d'après leur utilité et leurs produits, en tenant un marché toujours ouvert à la Bourse, acheteur et vendeur sont assurés de trouver une contre-partie, un placement avan- tageux et un débouché certain : c'est celle qui opère au

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moyen des capitaux, et (•clle-là no saurait être trop louée et encouragée par tous les gouvernemeuts, car elle est la véritable source du crédit public.

La spéculation abusive demande aux émotions du jeu, aux chances instantanées du hasard, une fortune acquise aveuglément, sans peine, sans travail.

La spéculation utile, honnête, se contente de légers gains ; elle ne demande pas la fortune en un jour, sans labeur et sans peine ; il lui suffit des produits du travail et des intérêts de ses capitaux ; ses bénéfices, s'ils sont lents, sont certains, parce qu'ils reposent sur une base so- lide, et qu'ils sont le fruit accumulé du Travail, de l'E- pargne et de la Production.

Tandis que le joueur n'arrive jamais qu'à la ruine et au déshonneur, par la spéculation utile, l'entrepreneur, le commerçant, l'ouvrier, sont assurés d'arriver à la fortune ou du moins à l'aisance qui suffit au bonheur.

Quels sont les traits qui les distinguent l'une de l'autre, la séparation qui les fait reconnaître, le point précis finit la spéculation utile et commence l'abus de la spé- culation ? Elles se tiennent malheureusement si bien qu'il n'y a aucune solution de continuité entre elles, ni de bar- rières pour en marquer les limites. Il n'y a pas de distinc- tion précise à établir, il ne peut y avoir que des nuances presque insensibles, et ici, comme en toutes choses, l'excès tient toujours de très-près à l'usage modéré.

Comment déterminer le point l'exagération du bien est le commencement du mal'f A quel moment la foi se change-t-elle en crédulité et superstition, l'économie en avarice, la dépense en prodigalité? Boire et manger sont

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cIjs actions indispensables au soutien de la vie, et bonnes en elles-mêmes, mais à quel moment précis l'action de manger ou de boire se cliange-t-elle en g-ourmandise ou ivrognerie?

La limite qui détermine la séparation entre l'utile et l'abusif, n'est guère plus facile à indiquer dans les spécu- lations de Bourse.

50. La Spéculation en général se traduit par deux espèces de négociations : à terme ou au comptant.

On a l'habitude de considérer toutes les opérations à terme comme affaires de jeu, toutes les opérations au comptant comme affaires sérieuses; c'est un tort, beau- coup d'opérations à terme sont sérieuses, beaucoup d'au- tres au comptant ne sont qu'affaires de jeu.

Les affaires à terme offrent certainement beaucoup ])lus de facilités au joueur, parce qu'elles lui permettent de retarder presque indéfiniment le règlement de ses opé- rations et qu'elles se font sur des quotités fixes dont la négociation est des plus courantes, tandis que les affaires au comptant demandent quelques capitaux et se règlent dans les quelques jours qui suivent le marché; cependant, à cause même des petites différences que présentent des opérations faites sur des quotités minimes de valeurs, ou sur des valeurs qui, parla vilité de leurs prix, présentent, sur de petits capitaux, de très-fortes variations, il s'est toujours attaché aux opérations du comptant une sorte de petite spéculation peureuse et de bas étage, composée

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d'éléments liétérog-ènes recueillis dans les dernières cou- ches de la société.

Spéculer à terme sans moj^en actuels de lever ou livrer ne constitue pas le jeu, mais sans moyens présumés de prendre ou donner livraison de la chose achetée ou vendue au terme du marché, et c'est l'intention seule qui pour- rait établir ici une distinction.

Mais nous croyons que, même dans tous les cas le spéculateur a la possibilité de prendre ou donner livrai- son, à terme comme au comptant, la fréquence des opéra- tions constiim Valus ; et l'unique mobile de tout échang-e étant et devant être V utilité, toutes les fois que l'uti- lité disparaît, il y a erreur ou mauvais usage ; nous pou- vons partir de cette donnée pour tracer une ligne de dé- marcation entre l'agiotage et la spéculation.

Lors même qu'il présente des chances égales, le jeu est immoral, puisqu'il est une perturbation violente des for- tunes lentement amassées ; mais au moins on n'y risque rien qu'on ne soit en droit de gagner, quelque prolongé qu'il soit.

Si l'échange était entièrement gratuit, s'il n'absorbait ni l'argent, ni le temps, ni la pensée du joueur, les opé- rations de Bourse ne seraient qu'un vain passe-temps qui pourrait se prolonger et se répéter souvent sans de grands inconvénients.

La question du courtage est la plus importante mesure pour estimer le plus ou moins d'opportunité des affaires en général ; elles peuvent impunément être d'autant plus nombreuses que le courtage est moindre; mais, l'achat et le placement sur toute valeur n'ayant d'autre but que de

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faire rapporter un certain intérêt aux capitaux, et le cour- tage représentant une partie de cet intérêt, s'il arrive que les négociations deviennent trop nombreuses, les frais de courtage dépassent le taux d'intérêt, et le capital, au lieu de s'accroître, s'amoindrit : le but est manqué ; accrois- sement ou diminution du capital, richesse ou pauvreté, voilà, ce nous semble, les deux fins, les deux pôles de toute spéculation, en raison de sa répétition, et ce qui peut servir à distinguer l'usage de l'abus ; ainsi, qu'un capitaliste ait en portefeuille des titres, rentes, actions eu obligations, lui rapportant un revenu moyen de 3 "/o, il peut facilement augmenter son capital ou son revenu, s'il a soin de n'engager aucune opération que dans le cas il y aurait bénéfice réel, sur la revente ou le rachat, s'il ne cherche un intérêt plus élevé qu'en demandant d'é- gales garanties ; mais ces opérations ne pourront jamais être très-nombreuses ; au contraire, s'il vend, rachète, ou fait des arbitrages systématiquement et sans mesure, comme à chaque fois le courtage est de Ve pour cent, il suffit de vingt- quatre opérations dans l'année pour dé- vorer l'intérêt ; par conséquent, ne peut-on pas dire que l'action de négocier ses valeurs plus d'une fois en quinze jours constitue une mauvaise entente de ses intérêts, un abus de la spéculation ?

Le spéculateur, dans ces conditions, est sur la pente insensible de sa ruine, et il se met volontairement dans la position d'un marchand qui, ne pouvant parvenir à équilibrer ses frais et ses recettes, verrait toujours croître son déficit.

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51. Mciiri le véi'itablo joueiir, celui dont riiifliieiice est la plus pernicieuse pour le crédit d'un pays, c'est le spéculateur à décoicvert^ qui ne se contente pas de spécu- ler à toute heure, à tout instant, mais qui ne possède ja- mais les mo^'ens de lever ou livrer ce qu'il achète ou ce qu'il vend.

Si fréquentes que soient ses spéculations, si funestes qu'elles soient pour lui-même, l'influence, sur le marché, du spéculateur, qui peut lever ou livrer, est toujours lé- gitime; celle du joueur à découvert n'est jamais que fac- tice, immorale, illég'itime.

Les spéculations à découvert sont toujours mêlées aux spéculations sérieuses d'une manière indissoluble qui empêche de bien se rendre compte des effets de chacune ; on ne peut les saisir qu'en imaginant ce qui adviendrait si elles étaient les unes et les autres abandonnées entiè- rement à elles-mêmes, s'il n'y avait entre elles aucune relation, aucun alliage possible.

Or, si les négociations qui ont lieu sur une valeur quelconque se passaient toutes entre des spéculateurs opérant exclusivement à découvert, si les joueurs, livrés rien qu'à eux-mêmes, ne pouvaient engager aucuns rap- ports avec la classe des spéculateurs couverts et nantis des titres et des capitaux, qu'arriverait-il?

Le vendeur à découvert, mis en mesure de livrer au terme du marché le titre de la valeur vendue, ne le possédant pas, se verrait forcé de racheter d'un nou- veau vendeur qui, dans la même position, serait égale- ment forcé de le racheter d'un troisième, celui-ci d'un quatrième, et ainsi de suite ; c'est ce que l'on voit par les

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escomptes^ lorsqu'il y a du découvert parmi les vendeurs ; la hausse serait indéfinie, parce que l'objet vendu, ne se trouvant nulle part, sa valeur serait elle-même indéfinie ; si le prix du diamant n'est aussi élevé qu'en raison de sa rareté, le prix du diamant serait au-delà de toute estima- sion s'il était impossible de s'en procurer.

Mais cette impossibilité même de s'en procurer éloi- gnerait toute demande, car la demande d'un tel objet serait déraisonnable, et la valeur serait par conséquent aussi bien nulle qu'indéfinie.

C'est pourquoi les acheteurs ne pouvant exiger la li- vraison des titres, ne pouvant à leur tour être mis par les vendeurs dans l'alternative de lever les titres, l'effet serait nul ou se produirait indéfiniment dans le sens opposé ; les reports, qui sont destinés à prolonger une opération ou présentant un emploi d'argent temporaire, n'auraient aucune raison d'être.

On aurait donc deux effets, aboutissant l'un et l'autre à l'indéfini, ne pouvant se rapprocher en aucun point, s'iinnulant d'eux-mêmes.

C'est-à-dire qu'il n'y aurait aucune estimation de va- leur possible, aucune apparence de cours quelconque, et qu'un pareil marché ne serait rien qu'une fiction, ou le rêve d'une imagination désordonnée.

Qu'importeraient au pays les variations fantastiques de ce marché fantôme, s'il pouvait se maintenir quelques moments ? La hausse et la baisse n'auraient pas plus de signification que le détail des pertes réalisées autour d'un tapis vert dans quelque tripot, la cote journalière de la fortune publique n'en serait nullement affectée ; ce qui

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serait gagné par Tiin serait toujours perdu par l'autre, et il n'y aurait pas un centime ajouté à la masse des ri- chesses.

52. Ce qui fait que les cours de la Bourse représen- tent quelque chose, c'est qu'à tel moment, à tel cours, il se présentera un acheteur qui pourra exiger la livraison du titre contre son capital, un vendeur qui ])0urra exiger le paiement du capital contre son titre, et qui, chang-eant tous les deux les conditions du jeu, tels que nous venons de les dépeindre, arrêteront la continuation indéfinie de la baisse ou de la hausse.

La hausse n'est plus alors une simple manifestation, vaine et sans résultat, car elle a pour effet direct d'accor- der une plus-value à l'ensemble de tous les titres existants dans la circulation, tandis que la baisse, au contraire, leur enlève une certaine portion de valeur. Il est vrai que la hausse n'a pas créé un seul titre, ni ajouté un centime à l'actif social, elle a fait mieux, elle a créé une valeur ^;zo- rrt/e qu'on nomme confiance ou crédit, parfaitement sus- ceptible d'une appréciation chiffrée, comme léseraient des richesses palpables et matérielles ; les richesses morales sont de vraies richesses ; le phénomène de la hausse et de la baisse en serait au besoin la plus saisissante démons- tration.

C'est V argent et le titre qui, après avoir donné la vie à la spéculation, puisque sans eux elle était impossible et n'avait aucune raison d'être, en répriment les écarts exa- gérés et la maintiennent dans de certaines limites déter-

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minées, par leur intervention aux moments opportuns.

Il existe une démonstration bien simple des effets pro- duits par les deux sortes de spéculations; bien que toutes les affaires à terme ne soient pas à découvert, que quel- ques affaires au comptant puissent être de jeu, on accor- dera volontiers que les cours à terme sont l'expression la plus fidèle des mouvements produits par le découvert, et les cours du comptant l'expression principale du mouve- ment des capitaux ; or, quoiqu'il y ait une dépendance né- cessaire entre les variations des cours du terme et du comptant, que les reports et les déports ne leur permet- tent jamais d'être soumis à une action complètement libre, il ne faut que consulter quelques cotes de bourse pour acquérir la preuve que les plus grands écarts dans les cours sont toujours produits par le terme, les plus faibles écarts par le comptant.

Ainsi, c'est en définitive le jeu naturel de la demande et de l'offre qui, après avoir été le principe premier, es- sentiel de la variation des cours, assigne une limite aux écarts indéfinis de cette variation et de cette mobilité.

53. Nous avons partagé en deux catég-ories toutes les causes qui agissent sur le prix de la valeur :

Causes constantes et causes accidentelles.

Les causes constantes agissent seules d'une manière continue et régulière ; par conséquent ce sont les seules pour lesquelles on puisse déduire quelques règ-les certai- nes ; les causes constantes elles-mêmes se divisent :

En causes constantes générales.

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Ce sont celles qui embrassent l'ensemble d'une situa- tion politique, commerciale et financière, élèvent ou abaissent le taux de l'intérêt général, ou influent indi- rectement sur les prix par des droits d'impôts, de muta- tions, de courtages ou toutes mesures financières a^^aiit pour principal effet d'accélérer ou ralentir la circulation des valeurs.

2" les causes constantes spéciales.

Ce sont celles qui constituent les conditions d'existence particulière à chaque nature de valeurs et qui restent in- variables, telles que :

Le nombre d'actions, les sommes versées ou restant à verser, le taux et le mode de remboursement, le taux de g-arantie d'intérêt, la durée de la concession, l'intérêt de la valeur considéré par rapport aux variations dont il est susceptible pour les valeurs à intérêt variable.

Toutes ces diverses circonstances, dont chacune a son influence spéciale, doivent présenter par leur concours le prix véritable de la valeur, sans pouvoir jamais le déter- miner d'une manière absolue.

Le^jn'iîîdes choses résulte de plusieurs éléments; c'est le trmail qui en est la mesure réelle et la plus appro- chante, mais cette mesure elle-même est soumise à toutes les variations résultant du rapport entre la quantité de travail offerte et demandée, rapport qui varie selon les temps et les lieux ; de plus, il est difficile de déterminer une proportion entre deux différentes quantités de tra- vail, car un travail d'une heure peut être plus utile, par conséquent valoir plus qu'un autre de dix heures ; il faut tenir compte de l'apprentissage, de l'habileté, des dangers,

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de la fatig-iie, etc., toutes choses qui ne peuvent se régler par une mesure exacte; le prix fixé par l'échange n'est jamais que le résultat d'un débat entre le vendeur qui exige et l'acheteur qui marchande, et qui se décident tous deux d'après cette espèce d'égalité approximative établie par la convenance de chacun, qui suffit dans toutes les transactions ordinaires de la vie.

Dans l'impossibilité de comparer le bénéfice tout à la fois moral et physique de chacun des contractants dans toute opération d'échange, on ne peut exiger qu'il soit rigoureusement égal pour tous les deux, et il suffit que chacun y trouve un certain bénéfice.

54. En thécrie, la quantité des demandes doit croître en raison inverse du carré du prix, de sorte que si une marchandise trouve un certain nombre de consommateurs au prix de 20 fr., elle en trouvera quatre fois plus au prix de 1 0 fr. et seize fois plus au prix de 5 fr. D'après ce prin- cipe, si une marchandise, une valeur ne coûtaient qu'un prix infinimentpetit, il y aurait une quantité de demandes infiniment grande. Mais en pratique, c'est autre chose; plusieurs causes s'opposent à ce que le prix de la valeur puisse tomber au-dessous d'une certaine limite ou ac- quérir une valeur indéfiniment grande ; la quantité des produits est presque toujours subordonnée à la quantité des demandes, en nombre plus ou moins limité, tout pro- duit ne s'adressant jamais qu'à un nombre fini, quelque- fois à une seule classe de consommateurs, et la produc- tion s'arrête du moment que le bénéfice du producteur

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devient insuffisant. Aus.si le prix est toujours assez élevé pour laisser un certain bénéfice au i)roducteur ou au mar- chand, et c'est uniquement à trouver le plus grand pro- duit qui puisse résulter en multipliant ce bénéfice par le nombre des consommateurs que s'étudie le marchand. Elevant son bénéfice, il peut trop diminuer le nombre des consommateurs ; le diminuant , ne pas augmenter assez ce nombre, et dans les deux cas obtenir un produit moindre.

Quelques auteurs ont prétendu donner des règles inva- riables pour la détermination du point précis doit se fixer ce bénéfice ; mais il est aisé de voir qu'en se basant sur des données supposées quant au nombre et à la con- venance des consommateurs, ils ont pris des hypothèses pour des réalités, et que sans cela, il y a toujours une in- connue qui ne permet pas de résoudre Téquation.

On ne peut pas davantage déterminer d'une manière certaine la nouvelle valeur résultant pour un produit d'une augmentation de sa quantité. On sait seulement en général, que tout produit diminue ou augmente de valeur selon sa plus ou moins grande abondance; mais les limi- tes sont très-étendues ; car un produit qui double en quan- tité pourra tomber jusqu'à la moitié de sa première va- leur, si le nombre des consommateurs ou des demandes reste le même, c'est-à-dire baisser en raison directe de son augmentation, il pourra ne subir aucune dépréciation, si le nombre des demandes s'élève proportionnellement à l'augmentation du produit.

Il ne peut donc y avoir de mesure exacte, absolue, du prix des valeurs, et c'est en cela que réside le principe des

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Vciriations discontinues de leurs cours. On chercherait en vain à fixer une limite quelconque, à réprimer cette mo- bilité perpétuelle, sans s'attaquer au principe même qui fait la vie des transactions. On calcule souvent le prix de la valeur par le taux d'intérêt, mais l'intérêt n'est pas da- vantag-e la mesure exacte de la valeur, que le temps n'est celle du travail ; ce n'est jamais qu'un moyen de compa- raison qui peut aider à obtenir des résultats approximatifs, mais dont on ne doit pas abuser ; on peut, on doit souvent préférer 3 ^/o d'intérêt à 7, à 8 et 10 o/o; non-seulement cette différence doit varier selon la nature des valeurs, mais selon une foule de circonstances dont l'appréciation est multiple, selon les temps, les lieux, etc.

Toute mesure fixe, invariable des valeurs est une pure chimère, parce qu'on ne peut mesurer des valeurs que par des valeurs, c'est-à-dire des quantités variables par d'au- tres quantités également variables. En physique, on ne peut pas davantage fixer la chaleur des corps, et le ther- momètre n'en donne qu'une mesure relative; il ne s'en- suit pas que les degrés de chaleur et la valeur des choses soient des quantités chimériques ou arbitraires.

55. Le degré du crédit de l'emprunteur, la valeur donnée à son titre sur la place, sont mesurés à l'origine même et dans toutes les circonstances il se crée de nou- veaux eng-agements, par le taux de Yemiwunt^ en tout temps par le taux de V Intérêt.

Lorsque l'Etat ou les compagnies émettent un emprunt, soit en titres de rentes, actions ou obligations, parmi les

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conditions de cet emprunt, les plus importantes sont le montant même de l'emprunt et le taux d'émission; c'est la grande loi de l'offre et de la demande, que nous retrou- vons dans toutes les transactions, qui régit cette première opération et qui doit en déterminer toutes les clauses ; l'offre faite par l'emprunteur ne trouvera la demande équi- valente qu'en augmentant successivement les avantages offerts au prêteur, en diminuant le taux d'émission, en aug*mentant le taux de l'intérêt; c'est à trouver le prix au- quel la quantité des demandes comblera la quantité des offres, que doit s'appliquer toute la science de l'emprun- teur, car à un prix supérieur, l'emprunt ne sera pas rem- pli, et à un prix inférieur il y aura dommage, tout en pré- sentant une quantité de demandes superflue; c'est ainsi que le gouvernement, dans ses divers emprunts par voie de souscription publique, en offrant de grands avantag-es aux souscripteurs, auraitpu recueillir jusqu'à dix fois plus d'argent qu'il n'en demandait , ce qui prouve qu'il aurait pu emprunter à des conditions moins onéreuses ; mais souvent un grand intérêt moral peut compenser l'intérêt pécuniaire.

L'emprunteur se trouve exactement dans le cas du marchand qui clierche à placer sa marchandise le plus avantageusement possible ; mais il n'est pas plus facile de déterminer au juste, quel que soit le chiffre de l'em- prunt et si connu que soit le crédit de l'emprunteur, le taux précis de l'émission de ses titres, que le prix de vente du premier ; il est tout aussi difficile de fixer le nouveau prix que donne à la rente déjà existante une nouvelle émission de rentes.

H6

La baisse qui précède toujours l'émission d'un emprunt doit se faire sentir sur toutes les valeurs en général, parce qu'il y a entre elles toutes une certaine solidarité, mais principalement sur les titres déjà existants, soit de l'Etat, soit de la compagnie qui emprunte, jusqu'au moment cette diminution de la valeur du titre sera suffisante pour motiver un déclassement des capitaux étrangers qui trouveront, dans le nouveau placement, un intérêt plus élevé ou mieux garanti. Il y a une loi qui a de l'analo- gie avec celle des fluides, et c'est parce que le déclasse- ment s'opérera plus naturellement de la part des anciens prêteurs qui, par leur positon même, se trouvent les pre- miers dispensateurs du crédit de l'emprunteur, que le titre déjà circulant de celui-ci baissera le premier.

56. Pour apprécier convenablement l'effet que doit produire l'annonce d'un nouvel emprunt et en déterminer le plus avantageusement possible le prix d'émission, il faut calculer la plus ou moins grande facilité des capitaux à se porter d'une valeur à une autre , d'un jDlacement immobilier à un placement mobilier, des entreprises d'un pays à celles des pays voisins, car tout dépend de cette facilité de circulation ou de déplacement des valeurs, et par nous entendons aussi bien les facilités morales résultant des richesses, des goiits et des penchants des populations, que des facilités purement matérielles.

En effet, si ce déclassement, qui peut être comparé au frottement des rouages dans une machine, offrait par im- possible une résistance complètement nulle, l'effet serait

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nul, de même que le mouvement pourrait se transmettre indéfiniment et, ne diminuant jamais dans la machine, si tout frottement était nul, n'enlèverait rien à la force pre- mière; au contraire, si cette facilité n'existait pas, si le déclassement ne pouvait s'opérer, l'effet retomberait tout entier sur l'emprunteur seul, et son crédit diminuant en raison directe de ses besoins, tout nouvel emprunt devien- drait inutile, et n'ajouterait rien à ses ressources.

On peut reg'arder comme une règle générale qui ne souffre pas d'exceptions, que la facilité d'emprunter est la plus grande, la circulation de la richesse est la plus facile. Tout impôt sur les transactions qui frappe la cir- culation réelle des titres va directement contre son but, parce qu'il diminue rapidement cette circulation qui est la base même de son produit; de plus, il est inapplicable aux opérations de jeu, le mouvement des titres est en- tièrement fictif. Telle est la loi de 1857, qui prélève un droit de timbre sur tous les effets au porteur.

Tout nouvel emprunt produira d'autant moins de per- turbation dans la richesse générale et le cours des valeurs que la circulation des valeurs sera plus grande. Les va- riations relatives seront, par conséquent, d'autant plus faibles, bien que la somme de ces variations puisse rester la même; c'est ce qui se passerait pour un corps dont toutes les parties seraient repoussées par une force égale et qui se maintiendrait sans aucune altération, tandis que l'équilibre serait violemment rompu si la force était toute concentrée sur un même point sans se communiquer également aux autres parties.

Sous l'influence de la spéculation à découvert, l'an-

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nonce d'un nouvel emprunt produit toujours de brusques mouvements et une baisse considérable qui se change quelquefois en une véritable panique. Certaine d'être sou- tenue cette fois par des livraisons de titres, la spéculation vend, vend sans cesse, et force l'Etat à emprunter à des conditions difficiles ou onéreuses. Les agioteurs sont les pires ennemis de l'Etat. Mais l'emprunt n'est pas plutôt souscrit, que l'on voit la réaction se produire, les cours reprendre leur niveau , et en définitive le bénéfice réalisé au détriment de l'Etat, est passé presque tout entier dans les mains de quelques banquiers influents ou d'une coterie de spéculateurs audacieux.

Le g-ouvernement ne pourrait que gagner à exposer clairement sa situation, ses actes et ses intentions. La publication mensuelle du bilan du Trésor, donnerait à tout le monde le moyen d'estimer exactement l'état de son crédit, de ses ressources, et on ne s'eifrayerait plus à l'annonce inattendue d'un emprunt dont l'urgence et l'emploi ne sont pas toujours clairement démontrés.

57. La quantité de titres ou d'actions dont se com- pose le fonds social d'une compagnie, serait très-peu importante au point de vue des variations de la valeur, dans l'hypothèse que toutes les opérations qui se con- cluent sur cette valeur, seront sérieuses et nullement fic- tives. D'un autre côté, si le rapport de ces opérations aux affaires de jeu était le même sur chacune des valeurs négociables , cette distinction entre les deux genres d'opérations, bonne pour juger de l'étendue absolue des

1 i '.)

variations, serait eiicurc inutile ]iour estimer la g-randeur des variations relatives, et la probabilité que pour un mouvement déterminé sur une valeur, le même mouve- ment se produira sur toute autre valeur. Mais à la Bourse, on le sait, le jeu se répartit très-inégalement, par rapport à la quantité réelle des titres de chacune des difi'érentes valeurs. Il n'est pas rare de voir l'agiotag-e s'exercer beaucoup plus fortement sur les titres de telle compagnie au capital de 18 à 20 millions, que sur telle autre au capital de quatre ou cinq cents millions. Nous pouvons établir que les opérations sérieuses agissent seules sur le cours de la valeur d'une manière absolue, entièrement indépendante de la quantité des titres. En effet, si la baisse résulte de la quantité même des actions qui se trouve plus considérable , la hausse doit résulter de la quantité même des demandes qui doit forcément se proportionner à la quantité des titres, pour maintenir l'équilibre entre deux valeurs également bonnes.

Si, en même temps, le jeu se porte de préférence sur la première valeur, ou s'y porte exclusivement, à moins de supposer que les demandes et les off'res de cette nature ne se fassent constamment équilibre, ce qui doit arriver au moins très-rarement, il y aura toujours une certaine quantité de demandes ou d'offi'es sur la première valeur de plus que sur la seconde, de sorte que les variations re- latives seront plus fortes sur l'une que sur l'autre.

11 ne serait pas difficile de prouver, d'après les faits, que cette nouvelle force se produira presque toujours dans le sens de lapremière, de manière à exagérer le mouvement, soit en hausse, soit en baisse, au lieu de l'atténuer.

iiO

Plits les opérations de jeu sont nombreuses sur une valeur, en raison du nombre de titres et de la circulation de ces titres , plus aussi , à part toute autre cause, les oscillations des cours doivent être fortes et étendues.

Dans l'impossibilité de pouvoir fixer d'une manière certaine une proportion quelconque entre les opérations réelles et les opérations fictives, de rendre en même temps cette proportion invariable , il y a un danger réel et per- manent pour les capitaux de s'aventurer dans les entre- prises dont le capital est peu considérable, parce qu'il est naturel de supposer qu'elles seront proportionnellement plus exposées aux manœuvres, aux menées de l'agiotage; non pas que les chances de perte ne puissent, dans ces circonstances, être souvent compensées parles chances de gain, mais parce que cet état constitue de plus grands risques, et que la grandeîCT des risques suffit déjà pour établir un dang*er ; par contre, il y a constamment avan- tage réel pour les capitaux, à rechercher de préférence les placements sur les fonds de l'Etat , sur ceux des grandes entreprises dont le capital est très-considérable, et qui, par cela même, présentent des conditions mieux définies, moins obscures, et d'autant moins de prise à l'action per^ nicieuse de l'agiotage.

58. Le taux à' intérêt est l'élément le plus important de la constitution d'une valeur, celui qui domine tous les autres dans l'estimation du titre en circulation.

L'intérêt peut être i^ariahle (m fixe.

Le taux d'intérêt fixe ou constant est sans contredit la

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nieilleuro ganintio de la bonne tenue d'une valeur. Il permet d'en apprécier aussi exactement que possible le prix moyen, de resserrer davantage les fluctuations au- tour de ce prix, de restreindre les baisses et les hausses subites ; aussi toute valeur qui rapporte un intérêt fixe doit -elle généralement être préférée à toute autre qui rapporterait un intérêt un peu plus fort , mais va- riable.

Les obligations de chemins de fer, quoique rapportant un peu moins que les actions, forment un placement plus sûr et mieux entendu, surtout par cette raison que leur intérêt est fixe, et que celui des actions est variable.

Ce n'est pas que l'intérêt fixe ne puisse offrir, dans des temps différents, plus ou moins de garantie, de sécurité aux porteurs, qu'il ne soit lui-même sujet à une certaine varia- bilité qui se manifeste par la mobilité des cours : cette instabilité incessante, perpétuelle, est une propriété né- cessaire qui forme d'ailleurs l'essence même de la valeur, tout comme le mouvement est la manifestation de la vie ; mais avec le système de la fixité du taux de l'intérêt , il est possible d'amasser, dans les années d'abondance, pour parer aux années de disette ; il reste moins de part à l'im- prévu, et dès-lors, par une espèce de compensation dans les mouvements extrêmes , tout événement de nature à porter quelque grave perturbation dans les conditions générales de la société, produit un dérangement moins sensible dans les cours.

Comme cause agissante, l'intérêt fixe est la plus égale, lu plus constante de toutes ; elle n'a aucune raison de se produire dans un moment plutôt que dans tel autre , et

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elle doit élever le prix de la valeur d'une manière essen- tiellement continue, dans l'intervalle compris entre le détachement de deux coupons, du montant exact du coupon à détacher. C'est donc un faux calcul que de spéculer sur l'approche d'un coupon d'intérêt, lorsque cet intérêt est fixe et parfaitement connu, d'acheter quelques jours avant son détachement pour revendre quelques jours après, dans cette idée qu'on se plait à répéter si souvent, que les valeurs regagnent toujours leurs cou- pons. Toute hausse qui se produirait de la sorte ne serait nullement motivée et n'aurait aucune consistance.

L'incertitude sur le chiffre du prochain dividende, la difficulté d'estimer un revenu moyen un peu certain, laissent une très- grande latitude aux mouvements sur la valeur à intérêt variable. Comme on a l'habitude d'esti- mer le revenu d'un titre, principalement d'après les pro- duits de la dernière année ou de l'année courante, et que le porteur recherche presque toujours un revenu au moins égal au dernier, l'annonce de toute modification dans le taux d'intérêt, si petite qu'elle soit, doit occasionner dans les cours un mouvement proportionnel à celui que subit l'intérêt, et si cet intérêt est à 5 °/o, il suffit d'une diminu- tion de 5 fr., sur le revenu annuel, que l'annonce en soit vraie ou fausse, pour opérer une baisse d'une centaine de francs sur la valeur du titre.

A l'exception des rentes sur l'Etat, qui trouvent dans les fluctuations de la politique de quoi alimenter la spé- culation, le jeu s'est toujours porté de préférence sur les valeurs à intérêt variable, qui trouvent dans cette condi- tion le principal élément des brusques revirements qui se

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font remarquer sur leurs cours. Il est facile d'effrayer le porteur du titre en lui i)résentant sans cesse une diminu- tion de recettes dans l'exploitation, en laissant toujours suspendue la menace d'une réduction possible d'intérêt; aussi quel prétexte plus commode pour tous ces faiseurs de fausses nouvelles qui n'ont d'autre métier que de pê- cher en eau trouble !

C'est un puissant motif de dépréciation pour la va- leur, car, règle générale, les capitaux doivent fuir tous placements sur des valeurs livrées aux pratiques de l'a- o-iotao-e.

59. Lors même qu'il y aurait autant de chances de gagner que de perdre, la grandeur des risques, amsi que nous l'avons déjà dit, bien que donnant des sommes ma- thématiquement égales de pertes et de gains, suffit pour constituer un danger que l'on doit toujours éviter; il est reconnu, en effet, que le gain ne nous donne jamais au- tant de satisfaction que la perte nous cause de peine, parce que le gain ne donne jamais à un capital un accrois- sement relatif à la fortune totale aussi considérable qu'une perte équivalente y apporte de diminution; il est donc préférable de risquer un contre un que deux contre deux, ou trois contre trois, et le plus grand tort qu'un homme puisse se faire dans cette théorie morale, est de risquer toute sa fortune dans l'espérance de la doubler.

Ce principe doit engager le spéculateur qui recherche un placement, à éviter avec soin les risques trop grands qui pourraient compromettre son capital, et à préférer

I2't

souvent les valeurs qui rapportent un intérêt moindre à celles qui rapportent un intérêt plus élevé.

L'intérêt, on le sait, est la représentation du risque couru par le capital ; par conséquent, et c'est une des lois fondamentales de l'économie politique, il est essen- tiellement variable et en raison des risques courus. A une entreprise qui court des risques deux fois plus nombreux, on ne demandera jamais que des produits doubles, et bientôt la considération même des risques finira par disparaître, et on n'aura plus égard qu'à une seule chose, la différence des profits et des intérêts ; de une tendance g'énérale à rechercher les placements qui rapportent de gros intérêts.

Si deux valeurs rapportent, l'une 3%, l'autre 6 Yo d'in- térêt, par ce seul fait que les risques sur la seconde sont le double des risques sur la première, bientôt la seconde finira par ne plus rapporter que 5 "/q au prix d'achat, parce que, pour la multitude imprudente et aveugle des spéculateurs, la comparaison simple des deux intérêts, en dehors de toute autre prévision, sera toute à l'avantage de la valeur qui rapporte six.

Que d'entreprises véreuses servent des dividendes que rien ne justifie, souvent prélevés sur le capital, comme un appât trompeur destiné à égarer la spéculation!

Le petit rentier, qui ne vit que difficilement avec deux ou trois mille francs de revenu, est seul excusable jusqu'à un certain point de chercher une augmentation de rentes dans un taux plus élevé d'intérêt ; pour celui qui trouve dans ses revenus de quoi subvenir largement à ses dé- penses, c'est une imprudence coupable, c'est une folie de

Mo -

risquer le capital pour une augmentation d'intérêt su- perflue.

60. Il y a donc deux raisons qui doivent en général engager le spéculateur sérieux à préférer toute valeur à intérêt modique, à celle d'un intérêt plus élevé, à reclier- cher par exemple un placement à 3 "/o , plutôt qu'un pla- cement à 6 Vo.

D'abord, il profite de toute la différence, de tout l'écart qui existe entre la valeur mathématique et la valeur mo- rale de la moitié des risques courus sur le second place- ment. S'il emploie toute sa fortune dans une entreprise qui lui rapporte 6 °/o au lieu de 3 ^/o ^ à la condition de courir des chances de perte doubles, si petite que soit la probabilité de la perte totale sur le placement à 3, elle est le double sur le placement à 6, et la différence déterminée par l'élément moral entre les deux probabilités, si petite qu'elle soit, acquiert une valeur nécessairement très- grande si on la multiplie par une quantité telle que la valeur de la fortune engagée, si elle l'était en totalité. En second lieu, si par suite d'une concurrence mal entendue, la valeur qui rapportait 6, en raison du nombre double de risques courus, vient à ne plus donner que 5 ^jo, il béné- ficie encore de % pour cent d'intérêt, en achetant une va- leur qui rapporte 3, au lieu de 2 '/s qu'elle devrait seule- ment rapporter, si la diminution d'intérêt qui s'est fait sentir sur la seconde valeur avait eu lieu proportionne- ment sur la première.

Quand une valeur quelconque rapporte un intérêt de

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3 Yo7 toute antre valeur sur laquelle les risques courus sont doubles, devrait rapporter, en raison de la probabi- lité de ces différents risques, probabilité qui peut être très- variable, mais qui ne peut jamais être supposée nulle, non pas seulement 6 7o , niais 7, 8, 10 ou 15 Yo- Au lieu de cela, la valeur sur laquelle les risques seront dou- bles, ne rapportera le plus souvent que 5 y^, 5, 4 V^ pour cent, et quelquefois moins.

On doit au contraire préférer une valeur qui rapporte un intérêt plus fort à celle qui rapporte un intérêt moin- dre, lorsque cette diminution d'intérêt est remplacée par une loterie, ou le tirag-e au sort de lots semestriels ou tri- mestriels, parce que si cette amorce est des plus sédui- santes pour le public, elle est aussi des plus fallacieuses, et par un calcul très-simple, on trouve que si la probabilité des lots répond à V^pour cent d'intérêt aléatoire, par con- tre on perd souvent 2 ou 3 Y,j d'intérêt réel .

Si tout le monde était tellement pénétré de la vérité de ces observations, qu'elles en devinssent vulgaires et su- perflues, si chacun possédait au même degré l'esprit de calcul et de prévoyance, il est certain que les choses ne se passeraient pas ainsi; toute fausse idée et tout engoue- ment ayant disparus, l'élément moral ayant conquis la place qu'il devrait occuper dans les estimations de chacun, il n'y aurait alors aucune recommandcition à faire à ce su- jet, parce que l'équilibre se produirait si bien qu'il de- viendrait absolument inutile d'établir aucune distinction et de rechercher tel placement de préférence à tel autre ; la prévoyance individuelle ne dépasserait plus le niveau de la prévoyance commune ; c'est parce que la prévoyance

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cuininune est iuiii d'être arrivée à sou apogée, qu'il faut que l'homme prudent se pénètre du sentiment de certaines vérités qui ne seront jamais l'apanage de la foule.

61. La dhisioii des risques est encore un moyen certain de les diminuer.

De même qu'il est plus prudent, pour lui faire passer la mer, de partager une fortune sur plusieurs vaisseaux qui, bien que courant des chances égales, incertaines et périlleuses, courent chacun des chances différentes de naufrag'e, le spéculateur qui recherche un placement, au lieu de mettre tous ses fonds dans une seule entreprise qui peut faire faillite et engloutir en une fois la totalité de sa fortune, doit de préférence placer ses fonds sur plu- sieurs entreprises différentes. Ce principe répond à un sentiment vulgaire et instinctif qui se traduit par ce pro- verbe un peu trivial : M ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

Cette division de la fortune entre plusieurs emplois qui, en théorie, pourraitêtrepoussée indéfiniment, aussiloin que le permettrait la quantité d'entreprises et de valeurs de toute nature, apour limites en pratique certaines considéra- tions dont il faut tenir compte, et dont les principales sont : la difficulté d'être exactement renseigné sur une trop grande quantité d'entreprises différentes, sur le compte desquelles une connaissance seulement superficielle est insuffisante, si l'on veut bien diriger ses intérêts et éviter au capital les pertes qui pourraient résulter d'une situa- tion mal connue ; 2*^ la perte de soins et de temps, qui cor-

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respond par le fait à une perte d'argent, résultant de l'o- bligation d'opérer des versements et toucher des intérêts à des époques différentes de l'année dans des endroits quelquefois fort éloignés. C'est surtout pour les person- nes de province et de la campagne, obligées à des dé- marches personnelles ou à des transports continuels de titres et de fonds, que cette considération est importante. Dans les villes de quelque importance, la création d'une caisse centrale, instituée par un syndicat des compa- gnies, à laquelle on pourrait opérer tous dépôts de titres, tous versements, recevoir tous coupons, rendrait d'utiles services ; cette institution n'est remplacée, jus- qu'à présent, que dans une mesure trop restreinte par quelques maisons de banque, et à Paris par les grands établissements de crédit qui ne fonctionnent qu'au profit de leurs actionnaires ou demandent une commission trop forte ; or, toute commission pour ce service réj^ond à une diminution de l'intérêt du titre.

Sans prétendre donner aucune règle absolue, et en laissant chacun juge de l'opportunité du fractionnement de son capital, on peut cependant admettre que cette di- vision est utile et conforme aux lois de la prudence, sur- tout nécessaire pour les grandes fortunes, qu'elle doit se proportionner à la nature des entreprises dont les chances de réussite sont plus ou moins certaines, depuis les fonds publics de l'Etat jusqu'aux entreprises les moins connues et les moins sûres, et que dans tous les cas elle peut, en pratique, se réduire à un petit nombre restreint de va- leurs de différente nature.

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62. Nous avons précédemment (par. 51) émis la supposition de deux marchés distincts et séparés , l'un toutes les opérations seraient purement fictives, l'autre toutes les opérations seraient sérieuses ; la Bourse re- présente un marché mixte, ces deux sortes d'opéra- tions sont unies dans des proportions variables, les pre- mières y entrant cependant de beaucoup pour la plus grande partie.

Les reports qui offrent un placement productif d'inté- rêts aux capitaux engag-és dans la spéculation, donnent en même temps la mesure précise des relations que ces deux marchés sont forcés d'entretenir et de leur dépendance réciproque. Commençons par définir le report.

Le report est la différence qui existe à un même mo- ment entre les cours du comptant et ceux du terme, ou entre les cours de deux liquidations successives.

Un spéculateur qui achèterait une valeur au comptant et la revendrait immédiatement à terme, en profitant de la différence des cours, ferait un report indirect.

Le report direct, celui dont il est toujours question lorsque le mot report est employé seul, est une opération unique, qui comprend implicitement les deux opérations de l'achat et de la vente, et qui ne peut être scindée.

Celui qui, par l'opération du report, se trouve acheteur au comptant et vendeur à terme, reporte ; celui qui se trouve vendeur au comptant et acheteur à terme, se/ait reporter.

On dit qu'il y a déport lorsque la valeur est plus chère au comptant qu'à terme; le déport n'est autre chose que le report négatif.

^ - <^o -

Lorsque les prix sont les mêmes, on dit que le report est mo pair.

Les reports peuvent être :

Ou un emploi de capital, argent ou titre;

Ou la continuation d'une affaire antérieure.

Pour expliquer ceci, il faut se représenter la situation respective des spéculateurs au moyen des trois groupes suivants :

L'aeheteur à découvert ;

2" Le vendeur à découvert ;

3" Le vendeur qui livre (ou l'acheteur qui prend li- vraison).

Si l'acheteur et le vendeur à découvert n'tivaient affaire qu'entre eux, si le vendeur qui livre avait affaire à un ache- teur en état de lever, l'équilibre serait maintenu entre les diverses parties, et on n'aurait pas l'explication des sin- gulières variations du report ; il est nécessaire de suppo- ser que si les deux vendeurs , l'un à découvert, l'autre qui livre, ont vendu chacun 1 500, l'acheteur à décou- vert aura acheté 3 000.

La liquidation venue, et chacun ayant conservé sa po- sition respective, il y aura 1 500 à livrer .^ 1 500 à repoo'ter et 3 000 h faire reporter.

L'acheteur, mis en mesure de lever 1 500, ne possé- dant pas le capital, et ne trouvant pas de contre -partie dans l'état du marché, est forcé, s'il veut continuer son opération à la hausse, de s'entendre avec un capitaliste qui, étranger à toute négociation antérieure, ne se déci- dera à prêter les fonds nécessaires que s'il y trouve un certain bénéfice dans un taux élevé de report.

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Pour les 1 500 restants, l'aclieteur ,-^'enteiid avec le vendeur comme lui à découvert.

Ce second report n'est qu'une opération feinte destinée à masquer une opération antérieure, qui ne présentera qu'une différence minime entre deux cours de compen- sations ; le taux en est nécessairement subordonné au premier ; il est l'effet d'une convention et non d'un débat.

Si en retournant les positions, c'eût été le vendeur qui manquât du titre, il aurait fait appel à un détenteur de ce titre.

A la Bourse, l'argent et le titre sont considérés comme deux marchandises qui peuvent se prêter moyennant une primo qui varie selon que l'une ou l'autre est plus de- mandée ou qu'elle est plus rare.

63. Si toutes les opérations étaient sérieuses à la Bourse, le report n'y dépasserait jamais le taux d'intérêt g'énéral ou ne tomberait jamais au-dessous.

L'effet serait encore maintenu si toutes les opérations fictives ou sérieuses, engagées dans le sens de la hausse ou de la baisse, se faisaient parfaitement équilibre, parce qu'il y aurait une complète indépendance entre les deux marchés.

Mais si l'équilibre n'est pas complet, selon que la ba- lance penche de l'un ou l'autre côté, il est nécessaire que le découvert, s'il veut continuer ses opérations à la hausse ou à la baisse, s'adresse aux détenteurs de capi- taux ou de titres, et comme la concurrence de ces der- niers se trouve limitée par les ressources présentes du

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marché, le taux du report s'élève au-dessus ou s'abaisse an-dessous du taux d'intérêt g-énéral.

C'est uniquement la spéculation à découvert qui exa- gère et fausse les limites du report, en donnant parfois le scandale d'intérêts usuraires à 20 et 25 %, ou présentant ce curieux spectacle d'intérêts négatifs au moyen de pri- mes sur prêts de titres ; c'est surtout aux approclies et dans le cours d'une liquidation que se font ressentir les plus grandes fluctuations du report.

Chaque fois que le report dépasse le taux d'intérêt des valeurs courantes , chaque fois qu'il est au-dessous, l'in- fluence du jeu est manifeste; on peut savoir à n'en pas douter de quel côté penche le découvert, et ce que recèle la situation du marché.

Les reports élevés signifient toujours découvert à la hausse; les reports bas, les déports, signifient toujours découvert à la baisse.

Dans le premier cas, le vendeur possesseur du titre, momentanément débordé par le découvert qui élève les cours, trouve la facilité de retarder la conclusion du mar- ché ou la livraison des titres, au moyen de reports élevés ; si la spéculation à découvert est à la baisse, l'acheteur en possession du capital peut se consoler de voir baisser temporairement sa valeur, en ne payant que peu ou point d'intérêt, en recevant même une prime de déport ; comme il est très-rare que le déport existe à la fois sur toutes les valeurs, rien n'empêche encore l'acheteur ou le prêteur de titres de placer leurs fonds en reports sur une autre valeur , et de recevoir des deux côtés à la fois.

Le vendeur possesseur du titre, qui vient en réclamer

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le paiement à l'échéance du marché à terme, force l'ache- teur à découvert à emprunter d'abord le capital, et à payer un gros intérêt au capitaliste, en fin de compte, à trouver un acheteur sérieux qui prenne sa place ; car si longtemps que le report se continue, une opération à découvert, lors- qu'elle est mise en face d'une opération sérieuse, ne peut jamais se terminer autrement que par le paiement ou la livraison obligés du titre.

Dans ces conditions, il n'est pas difficile de deviner qui doit l'emporter, du découvert ou des capitaux.

64. Les reports tournent toujours au préjudice des joueurs, et toujours au bénéfice des spéculateurs, posses- seurs de titres ou de capitaux.

Lorsque les titres ou les capitaux répondent aux appels du découvert, ils réalisent des bénéfices certains qui peuvent être considérés comme une avance, comme un intérêt des bénéfices futurs qu'il leur serait permis d'ail- leurs de réaliser sur-le-champ ; en effet, il dépendrait ex- clusivement des spéculateurs nantis des capitaux et des titres, qui possèdent le dernier mot de la situation, d'ame- ner instantanément une liquidation générale du découvert, ou du moins de rétablir la balance entre haussiers et bais- siers à découvert, si les capitaux se refusaient aux avan- tages des reports élevés, si les titres méprisaient les séductions de la prime ; car alors acheteurs et ven- deurs à découvert, forcés de traiter entre eux pour une partie de leurs opérations, celle les achats et les ventes peuvent se compenser, et ne trouvant plus la contre-par-

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tie qui leur manque pour tout ce qui excéderait cette compensation, n'auraient d'autre ressource que de se li- quider et de ramener de suite les cours ils les auraient trouvés, à leur valeur véritable.

On peut se souvenir des déports qui furent payés aux ac- tionnaires de certaine compagnie, dont le capital était du reste très-peu considérable, ce qui expliquait la rareté des titres; ces actionnaires se consolaient de la baisse de leurs titres en touchant des déports qui, en moins d'unan, au- raient suffi à doubler leur capital. Si cependant, au lieu de se faire bénévolement les complices de la spéculation à la baisse sur leurs propres titres, ces porteurs avaient compris qu'il était plus adroit de se refuser à un pareil manège, ils seraient probablement arrivés en une seule liquidation au résultat qu'ils convoitaient, par la hausse considérable que le découvert aurait forcément amenée.

Si le capital se refusait aux reports élevés, il amènerait la cessation d'une hausse factice , et pourrait entrer résolument dans les valeurs; si le titre se refusait aux dé- ports, il accroîtrait sa plus-value en amenant la hausse.

Il faut que le capital sache bien que lorsqu'il entre dans les opérations de reports et déports, lorsqu'il pactise avec le jeu, il ag'it contre ses propres intérêts.

'L'escompte^ qui n'est autre chose que la faculté pour l'a- cheteur à terme, d'après le contrat implicite du marché à terme, d'avancer la liquidation en exig-eant livraison im- médiate du titre, ne peut jamais produire grand effet sur la place, tant que le vendeur à découvert conserve la res- source d'emprunter n'importe à quelles conditions le titre qui lui fait défaut. Aussi, contrairement à l'effet naturel

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qu'on a l'habitude de leur supposer, on ne voit jamais les escomptes être suivis de la hausse, mais ils amènent promptement du déport.

65. C'est le Je^o, c'est-à-dire la spéculation avec tous ses abus, qui représente la force expansive, indéfinie du mouvement des cours.

C'est le Capital^ c'est-à-dire la spéculation utile, qui, seul et véritable principe de ce mouvement, en représente la force restrictive et définie.

Tous les efforts du Jeu tendent à accroître les écarts de la variation des cours.

Tous les efforts du Capital tendent au contraire à les resserrer.

Quelle que soit la question que l'on étudie, quel que soit le point de vue l'on se place, toujours, partout, les mêmes causes reproduisent les mêmes effets.

On le voit donc, et il serait facile de le prévoir quand même le raisonnement ne nous l'apprendrait pas, c'est le jeu seul qui trouble l'économie de la spéculation, qui, par ses pratiques et son action dissolvante, tend sans cesse, au lieu de le ramener vers le centre, à élarg-ir le cercle dans lequel se meut et s'agite la spéculation, et cela au g-rand détriment de la solidité des fortunes, de la moralité de ses principes.

Dans cette lutte constante entre le Jeu et le Capital, l'avantage doit en définitive rester au dernier. Si une hausse qui, sous la seule influence des capitaux, eût été de 10 francs sur le prix d'une action, s'est exag-érée sous

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l'iiilliience du jeu en une hausse artificielle de 30 francs, il faut que tôt ou tard il y aitforcément et par ce seul fait, un mouvement rétrograde qui, faisant baisser la valeur de 20 francs, ne laissera acquise que la hausse naturelle due aux capitaux. Et si le jeu, agissant en sens contraire, a pu amener une baisse de 30 francs, il faut absolument que tôt ou tard, il y ait une réaction en hausse de 40 fr.

La somme de réaction, toujours ég*ale à la somme d'ac- tion dans l'ensemble des eflFets de la nature, doit l'être aussi dans l'ensemble des résultats fournis exclusivement par le jeu, parce que l'effet de vendre ou acheter à décou- vert appelle toujours l'effet contraire.

La réaction qui se déclare toujours après un mouvement considérable, plus ou moins vive, plus ou moins prompte, en raison des causes qui ont amené le mouvement, ne peut jamais être égale à l'action sur le moment même, parce que la cause première n'est pas détruite ; pour que la réaction soit complète, il faut que la cause n'existe plus.

Ceci n'est d'ailleurs qu'une affaire de temps. La réac- tion serait obtenue dans l'intervalle d'une seule liquida- tion, si acheteur et vendeur à découvert n'avaient la facilité de continuer indéfiniment leurs opérations fictives, au moyen des reports.

L'erreur la plus déplorable que l'on pourrait commettre, serait de s'abuser sur la prétendue puissance du jeu, de lui attribuer la moindre efficacité, de s'imaginer qu'elle peut opérer dans un sens, sans une réaction forcée dans l'autre sens. Les gouvernements peuvent tolérer l'agiotag-e lors- que, par ujie hausse factice des fonds publics, ils espèrent

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assurer pour un moment le succès de leur politique, ils n'empêclieront jamais, et rien au monde ne pourra empê- cher un juste retour des clioses, retour d'autant plus fu- neste que l'illusion aura été plu s grande et aura duré plus longtemps.

Il n'y a de richesse possible que celle qui est le produit du travail; toute autre est pure chimère, ou n'est qu'un déplacement de richesse qui, pour en enrichir quelques- uns, en appauvrit nécessairement d'autres; dans l'estima- tion de la richesse publique il.'n'y a de hausse durable que celle qui résulte du concours des capitaux; toute hausse, toute baisse factices, en dehors du jeu régulier de l'offre et de la demande sérieuses, en ayant pour unique effet de ruiner quelques individus au profit de quelques autres, ne diminue pas, n'ajoute pas un atome à la somme de cette richesse.

Qu'on le sache donc. Le petit spéculateur qui achète un millier de francs de rentes, qui les paie et les serre dans son portefeuille , fait plus pour le succès définitif de la hausse, que le joueur audacieux qui vend cent mille francs de rentes qu'il ne possède pas, ne peut faire pour assurer la baisse. Aussi , entre eux deux , le résultat de la lutte, s'il se fait attendre, ne saurait être douteux.

66. Tout en reconnaissant les abus du Jeu, on croit eu g'énéral que ses intérêts sont communs à ceux du Capital. Ses intérêts, ses tendances, sont au contraire, directement opposés.

Le Jeu ne peut donner la moindre réalité au marché

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toutes les opérations en porteraient le caractère en- tièrement exclusif. Le Jeu, c'est la chaîne sans fin qui revient toujours au même point, le roclier de Sisyphe qui retombe toujours à la même place, la meule qui tourne a vide, selon l'expression pittoresque de J. B. Say.

Le Capital, qui seul peut créer et vivifier le marché, suffit parfaitement à en entretenir le mouvement sans le concours d'aucune force étrangère ; il représente une force restrictive, mais qui ne peut jamais devenir com- plètement nulle.

Il faudrait, pour annuler toute variation, tout mouve- ment, que les causes si nombreuses qui influent sur les cours fussent identiques, fixes et constantes ; mais au- cune cause ne peut avoir ce caractère de fixité, parce qu'elle-même est soumise à nue infinité d'influences multiples qui n'ont pas ce caractère. Aucune cause n'étant essentiellement constante, les causes dites constantes ne sont en réalité que les moins irrégulières, et celles dont les probabilités de retour sont les plus fortes.

Il faudrait encore faire abstraction du principe indivi- duel et admettre, ce qui est impossible, qu'aucune diver- gence ne séparant jamais les hommes, ils n'auront plus qu'une seule manière de voir et d'apprécier les causes, les mêmes penchants, les mêmes besoins.

Mais, sans espérer pour les rentes de l'Etat et les va- leurs publiques dont toutes les conditions d'existence sont le plus clairement déterminées, pas plus que pour les au- tres valeurs d'entreprises particulières moins bien défi- nies, qu'il puisse jamais s'établir une estimation de prix invariable et incontestable, universellement acceptée, de

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manière à enlever tout aliment, tout prétexte à la spécu- lation, on doit s'attendre néanmoins à voir se resserrer de plus en plus les écarts de la spéculation.

Cette tendance est un effet et un signe certains de la marche du progrès et de l'aspiration à la perfectibilité; c'est un moyen infaillible de mesurer l'état d'avancement d'un pa3^s ; on peut affirmer sans crainte que là, oii les li- mites d'écarts sont les plus grandes, le crédit est le plus arriérée ; que là, au contraire, oii les limites d'écarts sont les moins étendues, la confiance est la plus grande, le cré- dit le mieux assis , la puissance d'association la plus forte.

C'est une opinion presque générale et une erreur fort accréditée, que la mobilité des cours est un indice de la facilité des transactions, que par conséquent, la spécula- tion, malgré ses abus, rend d'utiles services en permet- tant de vendre et acheter à tous cours, à tous moments ; on feint de croire que sans le jeu, l'offre et la demande ne trouveraient pas toujours de contre-parties et que le mar- ché s'éteindrait ; le jeu peut bien donner une animation factice aux transactions lorsqu'elles sont rares, peu en- couragées par les lois ou par l'opinion, mais il ne les crée pas, et il vivifie le